La Chine vraiment populaire
L’animateur Lei Lei et le collectionneur Thomas Sauvin présentent au Festival Images de Vevey leur immersion dans la vie d’un Chinois fictif, en 1168 clichés colorisés
C’est un petit garçon chinois qui grandit et grandit encore. On le voit enfourcher une carpe puis un tank, rencontrer une jeune ballerine, fonder une famille, devenir grand-père. Chaque étape de cette vie somme toute banale est marquée par des clichés en noir et blanc, peu à peu colorisés et animés en des teintes pop et des motifs fauvistes. Le film de 16 minutes, réalisé à partir de 1168 clichés par Lei Lei et Thomas Sauvin, est présenté au Festival Images, à Vevey.
Le duo y a ajouté le millier de tirages qui a servi de matière première, consciencieusement scotchés un à un sur les murs noirs de la dépendance de l’Hôtel des Trois Couronnes. Quelques collages plus grand format complètent le dispositif. «L’objectif était le film, mais nous avons finalement décidé de tout montrer car cela comporte aussi un intérêt», estime Thomas Sauvin. Celui de se représenter la masse d’images nécessaire à la confection d’une vidéo d’animation et le travail de bénédictins entrepris par les deux hommes il y a un peu plus de deux ans. Lei Lei a colorisé les tirages en noir et blanc avec le matériel de l’époque. Après chaque coup de pinceau, la photographie a été scannée puis imprimée. Sur les murs apparaissent ainsi d’étonnants «dégradés».
«Nous discutions à mon bureau lorsque j’ai reçu une enveloppe contenant des clichés. L’un portait la mention: photographié en 1958 et colorisé en 1968. Cette idée de faire évoluer une photographie nous a interpellés, relate le Français. Avec la disparition de l’analogique aujourd’hui, on a tendance à archiver et préserver la photographie de manière presque chirurgicale, à l’aide de chambres froides, de solutions sans acide etc. C’est fascinant car tous ces tirages ont extrêmement vécu avant d’en arriver là. On gèle la photographie sous couvert de la protéger. Nous voulions au contraire la manipuler.» S’étant rencontrés à Pékin, où Thomas Sauvin a vécu de 2003 à 2015, les deux amis travaillent ensemble depuis quelques années. Lorsque Lei Lei, connu dans le monde de l’animation, a découvert la collection de 850000 négatifs amassée par l’Européen (projet «Silvermine»), il y a vu un potentiel immense. «Lui a raisonné en terme d’images par seconde et a été subjugué par la quantité, là où moi je sélectionnais drastiquement en vue d’une exposition ou de la publication d’un livre.»
Fouineur pékinois
Engagé durant neuf ans par Archive of Modern Conflict, basé à Londres, Thomas Sauvin glane des images à travers la Chine. Une moisson qu’il poursuit ensuite pour son propre compte. Son premier fournisseur est un recycleur de nitrate d’argent pékinois, à qui il laisse les radiographies médicales mais rachète tous les négatifs photographiques. En parallèle, le passionné s’abreuve sur Internet, dans les brocantes ou auprès de rabatteurs pour des tirages, des albums familiaux ou botaniques, des calendriers et autres dérivés photographiques. «Tout cela raconte une histoire de la Chine écrite par les Chinois et non à coups de propagande, l’histoire d’un peuple au quotidien, avec une portée beaucoup plus universelle, estime Thomas Sauvin. Lorsque les Chinois traitent de la Chine, ils portent un regard extrêmement dur. Les étrangers également. On a affaire à des passionnés qui ne considèrent que les arts martiaux ou Confucius et à d’autres qui ne voient que la pollution ou le Tibet. Il manque la vision humaine.» Les négatifs, datés de 1985 à 2005 pour l’essentiel, racontent l’émergence d’une classe moyenne et le développement d’une société de loisirs.
De cet agrégat, le collectionneur tire des similitudes et fait émerger des sujets. En 2013, il publie les albums Silvermine, qui recensent des femmes posant à côté de leur frigidaire, des hommes à côté de travestis ou encore des jumeaux. En 2015, il sort Jusqu’à ce que la mort nous sépare, étonnant petit ouvrage sur le rôle joué par la cigarette dans les mariages chinois. La jeune épouse, ainsi, offre et allume traditionnellement une cigarette à tous les hommes invités. Le livre, minuscule, est présenté dans un véritable paquet de blondes. «L’éditeur et moi en avons acheté 3000», sourit l’artiste. Sa dernière création, enfin, est un incroyable album composé de 59 cases en origami s’ouvrant sur 90 tirages, miscellanées visuelles faites de cartes postales, de portraits de familles ou d’aliénés, d’images de calendriers ou de preuves à conviction. L’objet, intitulé Xian et tiré à 200 exemplaires, nécessite 5 jours de pliage et dix mois de presse. Presque un manifeste pour considérer la Chine autrement.