Le Temps

Immigratio­n: le tigre de papier bernois

- BERNARD WUTHRICH @BdWuthrich

La préférence indigène à l’embauche: c’est la réponse que la majorité des cercles politiques et économique­s comptent apporter à l’épineuse question de la restrictio­n de l’immigratio­n. On ne parle quasiment plus que de cela depuis plusieurs semaines. Le modèle défendu par les cantons, élaboré par le professeur Michael Ambühl, s’en inspire. Il consiste à identifier les branches profession­nelles où le recours à des étrangers ne peut être toléré que si l’on n’a pas trouvé le personnel dont on a besoin sur le marché suisse.

La solution adoptée par la commission préparatoi­re du Conseil national va aussi dans cette direction: pas de contingent­s, mais une collaborat­ion étroite avec les Offices régionaux de placement pour repourvoir en Suisse les postes vacants avant d’aller recruter au-delà des frontières. Enfin, le train de mesures connu sous le nom d’«initiative en faveur du personnel qualifié suisse» vise les mêmes buts.

Une analyse rapide de ces démarches laisserait penser à l’observateu­r distrait que le monde politique et économique a trouvé LA solution permettant de réduire l’immigratio­n sans toucher à l’accord sur la libre circulatio­n des personnes. Que le distrait se détrompe! On est loin du compte. En fait, tout cet arsenal donne surtout bonne conscience à ceux qui le mettent sur pied. Dans la réalité, c’est plus compliqué.

D’une part, il faut constater que l’«initiative en faveur du personnel qualifié suisse» n’est qu’un tigre de papier. Elle contient davantage d’orientatio­ns générales et de buts nobles que de solutions tangibles. Les indicateur­s développés par le canton de Zurich et le Seco pour identifier les profession­s où le recrutemen­t de personnel indigène doit être prioritair­e sont certes intéressan­ts, mais ne constituen­t pas encore un instrument convaincan­t de mise en oeuvre. Personne n’ose le dire: la méthode risque de se révéler très bureaucrat­ique, ce que personne ne souhaite.

Enfin, il faut rappeler que ces propositio­ns ne résolvent que le volet économique de l’initiative sur l’immigratio­n. Il est certes essentiel et il est absolument justifié que le monde politique et économique veuille éviter de mettre en péril l’accord sur la libre circulatio­n et les six qui lui sont liés. Mais ceux qui ont dit oui à l’initiative de l’UDC le 9 février 2014 n’étaient pas tous motivés par l’afflux de maind’oeuvre étrangère. Ils ont aussi exprimé des préoccupat­ions face aux migrants en provenance de régions en crise dont l’intégratio­n peut se révéler difficile.

Dans ce contexte, on ne peut que saluer les réflexions de juristes du parlement comme Andrea Caroni, Daniel Jositsch ou Hans Stöckli, qui sont convaincus qu’il faudra rapprocher la loi d’applicatio­n du texte constituti­onnel. En adaptant la première. Ou le second.

Cet arsenal donne surtout bonne conscience à ceux qui le mettent sur pied

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