Wawrinka dans le court des grands
Avec trois victoires en Grand Chelem sur trois surfaces différentes, le Vaudois, numéro 3 mondial, entre dans une catégorie à part. S’il nie son appartenance au «Big Five» des maîtres du tennis, le gagnant de l’US Open admet avoir franchi un cap. Celui de
«J’ai clairement franchi un palier.» Avec trois victoires en Grand Chelem, sur trois surfaces différentes, Stan Wawrinka entre dans une nouvelle dimension. Propulsé au panthéon du tennis grâce au travail de Magnus Norman et de Pierre Paganini, le Vaudois, No 3 mondial, est plus fort que jamais.
Lundi matin. Top of the Rock. Stan Wawrinka, les traits tirés pose pour la postérité. Le trophée de l’US Open serré dans ses bras. Après les bords de la Yarra River à Melbourne, les quais de la Seine au pied de la tour Eiffel, c’est la vue plongeante sur Manhattan qui sert de décor à sa traditionnelle séance de photos au lendemain d’une victoire en Grand Chelem. La hauteur vertigineuse du sommet du Rockefeller Center comme une métaphore de l’ampleur de l’exploit.
Le Vaudois, numéro 3 du tennis mondial, trône en vainqueur d’un troisième Grand Chelem. Trois finales pour trois couronnes sur trois surfaces différentes. Open d’Australie, Roland-Garros, US Open. Une partition achevée par un groupe restreint de joueurs. Rejoindra-t-il les huit champions qui les ont remportées les quatre au moins une fois, ou restera-t-il dans le club des onze à qui il manque Roland-Garros ou Wimbledon? Il balaie: «C’est encore trop loin pour penser à Wimbledon.»
Pas de limite d’âge
Pour l’heure, il savoure. A 31 ans, il est le plus vieux vainqueur de l’US Open depuis Ken Rosewall en 1970. L’âge, une notion à part entière dans son discours au cours de cette quinzaine. «Oui, j’y pense plus qu’avant. Je sais que je suis plus proche de la fin. Je ne me fixe pas de limite d’âge ou de résultat, mais j’essaie de davantage profiter des bonnes choses, des victoires et des titres.»
Il savoure. L’exploit et surtout la manière. Car au-delà des chiffres, des statistiques et du palmarès, c’est l’attitude, la façon dont il a élaboré cette oeuvre titanesque dont il est le plus fier. Dans cet US Open, Stan Wawrinka est allé flirter avec des états qu’il ne connaissait pas, puiser dans des ressources qu’il ne soupçonnait pas. Dans une salle frigorifique du 65e étage du Rockefeller Center, le champion, totalement vidé mais heureux, raconte ce surpassement ultime avec le léger recul d’une nuit quasi sans sommeil: «Je rentre dans une nouvelle dimension parce que j’ai gagné un troisième Grand Chelem. Est-ce que ça va changer quelque chose pour la suite? Je ne sais pas. Mais j’ai clairement franchi un palier, atteint un autre niveau. J’ai su rester simple en jouant un bon tennis. Je n’ai rien montré malgré la douleur, malgré la fatigue, j’ai vraiment repoussé mes limites comme jamais.»
Les signes extérieurs de concentration et de «connexion mentale», pour reprendre l’expression de son coach Magnus Norman, se sont renforcés à partir du quart de finale contre Juan Martin Del Potro. Il poursuit: «Avant le match contre Delpo, qui m’avait battu à Wimbledon, j’ai demandé à Magnus en rigolant s’il avait trouvé la bonne tactique. Il m’a répondu: «Oui, mais ça va être dur physiquement et mentalement.» Cette phrase a été un déclic.»
Cet engagement ultime de Wawrinka a connu son apogée dimanche lors de la finale contre Novak Djokovic. Pas d’agacement ou de frustration. Une maîtrise totale avec laquelle il est parvenu à faire flancher le numéro 1. La raquette cassée du Serbe à côté de sa chaise sur le court, une image forte qui donne la mesure de ce combat de 3h55. «Face à Novak, je savais qu’il ne fallait rien montrer. Il s’engouffre à la moindre de tes failles. J’étais déterminé à ne laisser paraître aucun signe de faiblesse.»
Assurance nouvelle
Au sommet de sa forme, grâce notamment au travail accompli depuis des années avec Pierre Paganini qui lui avait prédit une maturité vers 27 ans, Wawrinka concède se sentir «plus fort physiquement que jamais cette année». Il a aimé se faire mal: «Tu vas au bout, tu es épuisé, tu n’en peux plus et tu passes tout d’un coup d’un état de fatigue intense à un état presque de bien-être. Tu es content de souffrir, tu es bien même si tu as envie de mourir.» L’assurance prodiguée par un corps prêt à encaisser et une tête prête à ne pas écouter les éventuelles complaintes dudit corps lui donnent les ailes de l’assurance. «Chaque fois que j’entre sur le court, je sais que je peux battre mon adversaire. Dimanche, je me sentais mieux que Djokovic. C’est la première fois que je ressentais ça dans un tournoi avant un match et c’est peut-être pour ça que j’ai si bien joué.»
Peut-être pour ça aussi qu’il a connu le trac, celui de l’artiste avant d’entrer en scène. Les tripes qui se nouent, cette sensation d’être au bord de l’évanouissement. La scène se passe dans les vestiaires cinq minutes avant d’aller sur le court. «J’étais nerveux depuis le matin, et juste avant le match, je me suis mis à trembler de tout mon corps. Je pleurais. Mais Magnus, toujours très calme, a réussi à trouver les mots simples et après, je savais que c’était à moi de me ressaisir, de vivre le moment.» Et il a joué sa partition sans fausse note. Devant 24000 spectateurs épatés. Une vraie bête de scène.
Sa résilience physique et mentale lui a permis d’aller cueillir une victoire particulièrement retentissante. Elle pourrait changer la donne dans la caboche de ses adversaires. Et en allant puiser au fond de lui-même, il a compris des choses sur ses propres capacités. Sa nouvelle dimension pourrait le mener vers d’autres sommets vertigineux. En attendant, il profite de la vue, tout là-haut sur Manhattan.
«Tu n’en peux plus et tu passes tout d’un coup d’un état de fatigue intense à un état presque de bien-être. Tu es content de souffrir, tu es bien même si tu as envie de mourir» STAN WAWRINKA