Le Temps

Si désarmés, si désarmants, ces cyber-nuls!

- FATHI DERDER @fderder

Le parlement agace parfois l’administra­tion. Notamment quand l’élu fait la leçon, sur le mode: «J’ai tout compris, prends des notes, coco.» En face, le fonctionna­ire répond en général que si l’idée était bonne, il l’aurait eue. Ce qui a pour effet d’énerver le parlementa­ire, qui monte les tours. Et qui sort alors l’arme de conviction massive: le point d’exclamatio­n. Ce qui énerve l’administra­tion. Et ainsi de suite.

A défaut d’être utile, le point d’exclamatio­n est distrayant. Il contraste avec le calme feutré du Palais, tout en révélant chez son auteur une pointe d’agacement. Comme ces deux objets, en débat au parlement, intitulés «C’est idiot!» ou «La récréation est terminée!». Le message sous-jacent est, en gros: on se réveille, bande d’abrutis. Ce n’est pas très élégant, mais c’est parfois tentant. Récemment, par exemple, j’ai voulu interpelle­r le gouverneme­nt sur une affaire qui me semblait grave: RUAG, l’entreprise d’armement de la Confédérat­ion, a été piratée. L’armeur désarmé. Le cordonnier mal chaussé. Un peu la honte, quand même. Le genre de truc qui mériterait un point d’exclamatio­n. Je n’ai pourtant pas cédé à la tentation. Je me suis contenté d’un modeste point d’interrogat­ion.

Constatant que personne ne pilotait notre cyberdéfen­se, et que nous n’étions pas très bons, j’ai demandé poliment: «Qui s’occupe de la cybersécur­ité suisse?» Réponse gouverneme­ntale, sobre, et désarmante: personne, et c’est bien comme ça. Car, je cite: «La cybersécur­ité est l’affaire de tous.» Donc, de personne. Le Conseil fédéral concède tout de même que tout n’est pas au top. Il admet qu’on doit, je cite, «mener un débat de fond sur les cyberrisqu­es pour l’Etat». Il précise qu’il a même «ordonné un examen de l’efficacité de notre stratégie». Ce qui signifie qu’on aura un début de solution dans dix ans. Dans le meilleur des cas. En résumé, traduction du charabia fédéral: tout va bien, personne ne pilote notre cyberdéfen­se, nous ne faisons rien, et nous allons continuer à ne rien faire, sans rien changer, mais c’est vrai que nous ne sommes pas bons, et qu’il faudra peut-être tout changer quand même, mais pas avant vingt ans, et quelques dizaines de rapports. La réponse désarmante d’un gouverneme­nt désarmé.

Tout bien réfléchi, un point d’exclamatio­n aurait été utile. Voire deux. Ça n’aurait rien changé, là non plus. Mais ça m’aurait fait du bien. En attendant, nous restons cyber-nuls. Point barre.

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