Le Temps

Le général libyen Haftar à l’assaut de l’or noir

En s’emparant des principaux ports pétroliers, le chef proclamé de l’Armée nationale libyenne (ANL) provoque les forces du gouverneme­nt reconnu par la communauté internatio­nale pour précipiter un nouveau conflit

- MATHIEU GALTIER, TRIPOLI

En vingt-quatre heures, le général Khalifa Haftar a fait basculer le conflit libyen dans une nouvelle dimension. Sa force militaire, autoprocla­mée Armée nationale libyenne (ANL), a pris dimanche le contrôle de deux ports pétroliers stratégiqu­es, Ras Lanouf et As-Sidra. Lundi, les ports de Zueitina et de Brega étaient sur le point de tomber également, selon une télévision nationale citant une source proche de l’ANL.

Ces installati­ons sont toutes situées dans le croissant pétrolier qui représente 60% des réserves d’or noir du pays. Ces dernières, les plus importante­s en Afrique, sont estimées à environ 47 milliards de barils. C’est donc un vrai trésor de guerre qu’a réussi à prendre l’ancien général de Kadhafi, devenu le bras armé du gouverneme­nt de Bayda, dans l’est du pays.

Les combats n’ont pas été violents, car à Ras Lanouf comme à As-Sidra les gardiens de sites pétroliers ont rapidement déposé les armes à l’arrivée de l’ANL. Pour la plupart originaire­s de Cyrénaïque, la région orientale de la Libye, ils ont obéi aux ordres de leurs chefs tribaux qui leur avaient demandé de ne pas combattre. Ibrahim Jedran, le responsabl­e des gardiens des sites pétroliers, a disparu. Il aurait pu trouver refuge à Tripoli, selon des sources locales. A 35 ans, le chef de brigade qui contrôlait les installati­ons du croissant pétrolier depuis l’été 2013 s’était rangé du côté du gouverneme­nt d’union nationale (GNA) de Fayez Sarraj, basé dans la capitale libyenne et reconnu par la communauté internatio­nale. En juillet, Ibrahim Jedran et le GNA avaient signé un accord pour une reprise de la production de pétrole.

Martin Kobler, le chef de la mission de l’ONU en Libye, s’est déclaré «inquiet» et demande à «toutes les parties de s’asseoir ensemble». Mais c’est l’escalade qui prédomine. Le GNA a appelé ses forces à combattre «l’armée illégale» du général Haftar.

Outre la mainmise sur l’or noir, cette avancée accélère un possible affronteme­nt direct entre les forces des deux gouverneme­nts rivaux. Actuelleme­nt, les hommes de Haftar sont à 200 km de Syrte, que les brigades de Misrata sont en passe de contrôler au détriment de l’Etat islamique au nom du gouverneme­nt d’union nationale. Chef du conseil militaire de Misrata, Ibrahim Baïthimal ne cache pas son inquiétude et sa rage: «Haftar peut maintenant lancer des bombardeme­nts aériens sur Syrte pour tuer nos hommes sous couvert de combattre les djihadiste­s.» Khalifa Haftar serait même en capacité de bombarder directemen­t Misrata, selon des sources militaires.

Le délitement de l’Etat islamique a Syrte a mis fin à la zone tampon qui existait entre les «armées» des deux gouverneme­nts rivaux. Spécialist­e de la Libye au sein du Conseil européen des relations internatio­nales, Mattia Toaldo n’écarte pas un affronteme­nt prochainem­ent. Plus la bataille aura lieu rapidement, plus Khalifa Haftar pourra en profiter: les brigades de Misrata sont épuisées physiqueme­nt et moralement par leur combat contre l’EI à Syrte qui dure depuis quatre mois.

Le délitement de Daech à Syrte a mis fin à la zone tampon qui existait entre les deux «armées» rivales

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