Les bourses redoutent la fin de l’argent facile
Inquiets de la perspective de la hausse des taux aux Etats-Unis et déçus par la BCE et par la Banque du Japon qui mettent fin aux programmes d’assouplissement monétaire, les marchés actions et obligations ont plongé lundi
Visiblement, le calme qui a régné cet été sur les places financières mondiales est terminé. De Shanghai à Bombay, de Londres à Paris, les marchés d’actions et obligataires se sont inscrits en baisse lundi, inquiets d’un prochain resserrement de la politique monétaire.
De nombreux emprunts de longue durée, qui avaient vu leurs rendements devenir négatifs au printemps ou à l’été, sont repassés dans le vert. Même le Bund – obligation de l’Etat allemand à dix ans –, qui fait référence en zone euro. Seules exceptions: le Japon et la Suisse, dont les taux longs restent négatifs.
«Les marchés n’aiment pas cette direction, commente Caroline Weber, stratège chez Bridport, spécialiste obligataire à Genève. Les entreprises se sont fortement endettées et tout relèvement des taux directeurs annonce un renchérissement de leur crédit.» Les analystes obligataires parlent même de «VaR shock», ou «choc de la valeur à risque»: les innombrables placements dans des obligations considérées comme chères sont désormais pris au piège de prix qui baissent.
Le mouvement baissier avait débuté vendredi aux Etats-Unis, l’indice S&P dégringolant de 2,5% à la clôture, alors que la nervosité des marchés se traduisait par une subite hausse de la volatilité de marché mesurée par l’indice VIX (dit «indice de la peur»). Parallèlement, le rendement du bon du Trésor s’est tendu de 10 points de base (0,1%) en deux jours pour atteindre 1,69%.
En attente de la Fed
Désormais, tous les yeux sont rivés sur la Réserve fédérale américaine (Fed) qui se réunira les 20 et 21 septembre; elle pourrait décider d’une nouvelle hausse de son taux directeur, après celle de décembre dernier.
Le coup de grâce a été donné, d’une part, par les propos tenus par Eric Rosengren, membre du Comité de politique monétaire de la Fed, évoquant un retour à la normalisation de la politique des taux aux EtatsUnis. D’autre part, le prix du brut était passé au-dessous de 45 dollars le baril, ce qui constitue un avertissement sur la conjoncture.
Sans surprise, les marchés asiatiques ont à leur tour accusé le coup lundi. Hongkong a clôturé en baisse de 3,36%, Shanghai de 1,85% et Nikkei de 1,73%. Au Japon, les rendements se sont aussi tendus mais restent juste au-dessous du zéro (-0,01%).
Les bourses européennes ont pris le relais. Le dé avait toutefois déjà été jeté jeudi. La Banque centrale européenne (BCE) avait renoncé, à l’issue de sa réunion mensuelle des gouverneurs, à baisser davantage son taux directeur ou de prolonger son programme d’assouplissement monétaire. Selon Christopher Dembik, économiste en chef de la banque Saxo à Paris, la BCE avait préféré le statu quo dans l’attente de la direction qui serait donnée par la Fed le 21 septembre.
Le marché européen a donc terminé la journée de lundi dans le rouge vif. L’indice Euro Stoxx a reculé de 1,3%. Londres a perdu 1,09%, Paris 1,22%, Francfort 1,4%. Le mouvement n’a pas épargné la bourse suisse qui a enregistré un recul de 0,7%. La totalité des secteurs d’activité était dans le rouge. Les rendements se sont tendus là aussi. Le Bund allemand, qui oscillait aux alentours de zéro, est subitement passé à 0,04%. L’emprunt à dix ans de la Confédération est remonté de 13 points de base à -0,44%. Aux Etats-Unis, la baisse, qui avait débuté vendredi, s’est légèrement inversée lundi.
«Les pertes enregistrées vendredi et lundi sont certes considérables, mais elles n’annoncent pas encore une catastrophe, explique Andreas Ruhlmann de la banque IG à Genève. Les marchés se rendent comptent que la période de l’excès de liquidités données par les banques centrales est révolue. Ils réalisent aussi que ces dernières sont aussi à court d’outils pour donner une nouvelle impulsion à l’économie.» L’économiste relève également que la Banque du Japon a été la première à faire connaître clairement qu’elle renonçait à toute nouvelle mesure comme l’assouplissement monétaire ou des taux négatifs. «La BCE a repris le même message la semaine dernière», poursuit-il.
Vers une lente remontée des taux
Andreas Ruhlmann fait aussi remarquer que le recul amorcé des marchés n’est à ce stade pas dramatique. «Les prix des actions sont chers du fait que les investisseurs y ont misé beaucoup dans l’espoir d’un bon rendement», explique-t-il. Dans son rapport hebdomadaire, la banque Bordier ne dit pas autre chose: «Le niveau élevé des valorisations aux Etats-Unis ainsi qu’une Allemagne qui toussote nous font penser que la semaine devrait rester négative.»
Néanmoins, «les marchés sont probablement arrivés à un point d’inflexion, du moins en Europe», poursuit Caroline Weber. Avec trois ans de retard sur les Etats-Unis, le Vieux Continent se prépare à une lente et chaotique remontée des taux à dix ans, après plusieurs années d’irrégulière glissade.