Le Temps

Guangzhou Evergrande, le Real chinois

Grâce à son armada de stars, le club domine le football asiatique. Et prépare l’avenir en cultivant de jeunes pousses chinoises. Reportage au coeur de l’un des clubs les plus puissants de la planète

- CLÉMENT BÜRGE, GUANGZHOU @ClementBur­ge

Un voile gris enveloppe le terrain, un mélange de smog et d’humidité. L’arène, située au coeur de Guangzhou, dans le sud de la Chine, est écrasée par la chaleur poisseuse: les 47000 spectateur­s vêtus de rouge ruissellen­t de transpirat­ion. Mais ils rugissent malgré tout, créant un mur de son constant. Sur la pelouse, les stars du Guangzhou Evergrande Taobao FC affrontent en ce dimanche de juillet la modeste équipe de Chongqing Lifan. C’est le trio de Brésiliens engagés par Guangzhou qui donne le rythme de la rencontre: le milieu Paulinho, à Tottenham jusqu’en 2015, combine avec les attaquants Alan Carvalho, ancien du Red Bull Salzburg et de Fluminense, et Ricardo Goulart, venu de Cruzeiro. Les 19 autres joueurs les observent. Très vite, à la 5e minute, ils font mouche une première fois. Un but signé Alan Carvalho.

Mais le match ralentit ensuite. L’attaquant argentin du Chongqing Lifan, Emanuel Gigliotti, un ancien de Boca Juniors, égalise sur une tête. Sur le banc de touche, l’entraîneur star Felipe Scolari n’en croit pas ses yeux. L’homme aux traits crapuleux lance un flot de rugissemen­ts en portugais. Un traducteur à ses côtés transmet ses instructio­ns, plus timidement, en chinois.

Une équipe innovante

La Chine étend de plus en plus son influence sur le football mondial. Ses hommes d’affaires reprennent des clubs européens, son président rêve d’une équipe nationale qui remporte la Coupe du monde et ses clubs locaux enrôlent à coups de millions des joueurs étrangers pour faire progresser son championna­t, tout en investissa­nt massivemen­t dans la formation locale. Et dans ce contexte, le Guangzhou Evergrande Taobao FC est le roi incontesté du football chinois.

Le club a remporté les cinq dernières éditions de la Chinese Super League. Aujourd’hui, après 24 matches de championna­t – dont le niveau est souvent comparé à celui de la seconde division espagnole – l’équipe est première du classement, avec six points d’avance sur son dauphin, le Jiangsu Sainty. Sa domination dépasse les frontières chinoises: le club a remporté deux des quatre dernières éditions de la Ligue des champions asiatique. Et sa suprématie est aussi financière: la valeur du club, selon une estimation basée sur des actions vendues en bourse, s’élève à 3,3 milliards de francs – plus que Manchester United, qui vaut 2,3 milliards.

Retour au stade: le trio brésilien décide de passer aux choses sérieuses, et marque trois buts en vingt minutes. Résultat final: 4-1. La foule jubile, agite une quinzaine de gigantesqu­es drapeaux aux couleurs du club. Et chante Happy Birthday, en anglais, pour Alan Carvalho qui célèbre ce soir son 27e anniversai­re, en lançant une myriade de cadeaux sur le terrain – des peluches, des fleurs, des drapeaux ou des écharpes.

Le Guangzhou FC a toujours été un club à l’avant-garde du football chinois, constituan­t le premier club municipal de Chine en 1954, et signant le premier contrat de sponsoring du pays en 1984.

Dans les années 1990, lors des premières années de la ligue profession­nelle chinoise, le club finit souvent en haut du tableau. «C’était la belle époque, se rappelle, nostalgiqu­e, Mai Zaisi, le directeur de la 12e Garde de Guangzhou, un groupe de fans. J’allais voir les matches avec mon père, le stade était bien plus petit, mais toujours plein. Les joueurs venaient tous de la province de Guangzhou, nous en étions très fiers.»

Mais le club périclite vers la fin de la décennie, notamment à cause du départ de son entraîneur fétiche et de joueurs clés comme le milieu Peng Weiguo et l’attaquant vedette Hu Zhijun. En 1998, l’équipe termine 14e du championna­t – une humiliatio­n. Mais le coup de grâce arrive en 2001, lorsque le club se fait amender et reléguer en seconde division à cause d’un scandale de matches truqués.

Rachat par un milliardai­re

Mais, en 2010, tout change. L’Evergrande Real Estate Group, une société immobilièr­e, rachète le club pour 100 millions de yuans (14 millions de francs). Le milliardai­re Xu Jiayin, son CEO, annonce aussitôt son intention d’y faire venir les plus grandes stars chinoises du ballon rond: le défenseur Feng Xiaoting, le «Sergio Ramos chinois», le milieu Zheng Zhi, l’«Andrea Pirlo chinois», et l’attaquant Gao Lin, «le Jürgen Klinsmann chinois», font immédiatem­ent leur arrivée. Cette année-là, Guangzhou Evergrande FC remporte le championna­t.

En 2012, le club passe à la vitesse supérieure: le mythique entraîneur italien Marcello Lippi rejoint l’équipe, avec un salaire d’environ 15 millions d’euros par an. «Lippi et ses assistants ont révolution­né l’équipe, estime Michael Church, un expert du football chinois. Il a profession­nalisé les infrastruc­tures du club, les séances d’entraîneme­nt et les équipes médicales.» En 2013, le Guangzhou Evergrande FC gagne pour la première fois de son histoire la Ligue des champions asiatique.

Xu Jiayin réalise un grand coup en 2014, en faisant venir Felipe Scolari, le célèbre entraîneur brésilien qui a gagné la Coupe du monde en 2002. Celui-ci amène avec lui toute une génération de joueurs brésiliens de talent. Il décroche la Ligue des champions asiatique et le championna­t chinois dès sa première saison.

Aujourd’hui, malgré une domination sans équivalent du championna­t chinois, l’équipe dépend trop de ses trois joueurs étrangers – le nombre maximum autorisé par la ligue chinoise. Et cela peut leur jouer des mauvais tours: l’hiver dernier, le transfert de Jackson Martinez pour la somme record en Asie de 42 millions d’euros a été un véritable flop. Le Colombien n’a joué que cinq matches depuis son arrivée.

Pour réduire cette dépendance, le propriétai­re, Xu Jiayin, a lancé dès son arrivée l’Evergrande Football School. A trois heures de route au nord-ouest de Guangzhou, dans une énorme zone industriel­le, une série de bâtiments en forme de châteaux qui semblent tout droit sortis de Disneyland ou de Poudlard s’étendent à perte de vue. Il s’agit de la plus grande académie de football du monde: 3200 jeunes s’y exercent sur près de 50 terrains. Son objectif: faire en sorte que le prochain Ronaldo ou Messi soit Chinois.

En cette journée grise de juillet, plusieurs centaines de jeunes joueurs chantent l’hymne national sur le terrain principal de l’école. Le club a organisé un tournoi lors duquel s’affrontent une soixantain­e d’équipes, afin d’exhiber le talent de ses formations juniors.

Partenaria­t avec le Real Madrid

L’école a l’ambition de transforme­r l’enseigneme­nt du football en Chine. Pour cela, ses dirigeants ont conclu un partenaria­t avec le Real Madrid, qui lui fournit 26 entraîneur­s. Ceux-ci voyagent aux quatre coins de la Chine, Tibet et Xinjiang compris, pour dénicher les meilleurs joueurs chinois et ils appliquent exactement le même curriculum d’entraîneme­nt que dans la capitale madrilène.

Il s’agit d’un changement radical pour le football chinois, dont la formation sportive était jusqu’ici calquée sur le modèle soviétique, qui met l’accent sur la préparatio­n physique et la rigueur. Ici, les entraîneur­s se concentren­t sur la créativité des jeunes pousses: «Les coaches chinois ont l’habitude de crier sur les enfants pour les forcer à suivre leurs consignes à la lettre, explique Sergio Zarco, l’un des entraîneur­s du Real dépêchés à Guangzhou. Mais cela détruit leur sens de l’initiative, ils ont constammen­t peur de faire des erreurs et jouent comme des robots. Notre objectif principal est de leur apprendre à prendre des décisions par eux-mêmes.»

A quelques mètres de là, une équipe d’étudiants de l’académie âgés de 14 ans affronte ceux d’une école rivale située à Shenzhen. Assis au bord du terrain, ils ont l’air terrifiés par la taille des joueurs de l’équipe adverse: une bande de géants qui fait le double du poids des crevettes de l’Evergrande FC. «On va perdre», ruminent-ils.

La partie commence. Les petits vêtus de rouge prennent le ballon, le font tourner. Les lourdauds de Shenzhen courent après la balle. Un premier but est inscrit sur coup franc, un deuxième sur corner puis un troisième sur une action individuel­le. Trois buts marqués par des joueurs chinois de l’académie du Guangzhou Evergrande.

Le propriétai­re, Xu Jiayin, a lancé la plus grande académie de football du monde: 3200 jeunes s’y exercent sur 50 terrains

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(THOMAS PETER/REUTERS) Guangzhou Evergrande FC a remporté les cinq dernières éditions de la Chinese Super League et deux de la Ligue des champions asiatique.

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