L’horreur d’Alep documentée
Publié mercredi, le document établi par la commission d’enquête sur la Syrie dirigée par Paulo Pinheiro dresse un constat très sévère à l’encontre des groupes armés de l’opposition, mais surtout du régime syrien, évoquant de «possibles» crimes de guerre
La Commission internationale indépendante d’enquête sur la Syrie a diffusé mercredi au Palais des Nations à Genève un rapport accablant qui met en lumière les conséquences dramatiques de la bataille autour d’Alep entre les forces syriennes et russes et les groupes rebelles syriens. Des combats qui vont changer la physionomie du conflit syrien. Membre de la commission, l’ex-procureure générale de la Confédération Carla Del Ponte n’a pas mâché ses mots: «Ce que nous avons vu en Syrie (les documents vus et les témoignages récoltés), je ne l’ai pas vu au Rwanda ou en ex-Yougoslavie.» Les populations civiles ont payé le lourd tribut de ces affrontements. Dans un document de 37 pages, la commission, mandatée par le Conseil des droits de l’homme, a enquêté en Syrie et à Genève, menant près de 300 interviews, dont certains à distance avec des résidents d’Alep. Elle souligne que son travail a été fortement entravé. «Les autorités syriennes ont refusé toute coopération et tout contact», a expliqué le président de la commission Paulo Pinheiro.
Affamer la partie est d’Alep
Le rapport épingle sévèrement le régime de Bachar el-Assad: «Les forces gouvernementales et leurs alliés ont employé des tactiques brutales pour forcer les groupes armés à se rendre.» La manière dont elles ont cherché à affamer la partie est d’Alep a eu un impact «désastreux» sur les populations civiles. Le document fustige Damas et Moscou pour les raids aériens qui ont tué, entre juillet et décembre 2016, plusieurs centaines de civils et touché des infrastructures vitales comme les hôpitaux. La répétition des bombardements opérés en vague par des hélicoptères et avions révèle des efforts «délibérés et systématiques visant des infrastructures médicales s’inscrivant dans une stratégie cherchant à faire capituler» l’ennemi.
Le bombardement du 1er octobre 2016
Le 1er octobre 2016 par exemple, vers 11h du matin, des bombes barils ont endommagé l’hôpital M10, dans le district Al-Sakhour, forçant des centaines de patients et d’employés à trouver refuge dans les sous-sols. Des bombes puissantes anti-bunker, des sous-munitions et du chlore ont aussi été utilisés au cours de cette attaque. L’hôpital M10 a été la cible de bombardements à plusieurs reprises. De tels établissements de santé étant particulièrement protégés par les conventions de Genève, la commission d’enquête estime que ces attaques contre des hôpitaux, le personnel médical et des ambulances pourraient équivaloir à des crimes de guerre.
Recours aux armes chimiques
Le recours aux armes chimiques est aussi dénoncé par le rapport. La commission relève que de nombreuses bombes improvisées au chlore ont été larguées par hélicoptère. Elle est catégorique: les forces aériennes syriennes sont les responsables de ces attaques. L’utilisation du chlore relève d’une stratégie délibérée de Damas et pourrait valoir au pouvoir de Bachar el-Assad d’être accusé de crimes de guerre. Le rapport précise toutefois que la commission n’a trouvé aucune preuve montrant que des attaques chimiques auraient été perpétrées par les forces russes. Russes et Syriens sont aussi accusés d’avoir utilisé de façon massive des armes à sous-munitions. Cela pourrait avoir des conséquences humanitaires, à long terme, et entraver fortement un retour à la normale pour la population civile d’Alep.
Le document incrimine aussi les groupes rebelles armés à l’est d’Alep, qui se sont servi des civils comme de boucliers humains et qui les ont privés de l’aide humanitaire qui leur revenait. Ces groupes armés ont également utilisé des armes sans discrimination, touchant mortellement de nombreux civils, en particulier à l’ouest d’Alep.
L’un des points forts du rapport est sans doute l’attaque, le 19 septembre 2016, du convoi humanitaire des Nations unies et du Croissant-Rouge syrien, qui fit au moins 14 morts parmi les civils et une quinzaine de blessés. Dixsept des 31 camions d’aide furent anéantis. L’attaque aérienne dura au moins trente minutes. Elle apparaît comme une grave violation des conventions de Genève.
Pour la commission, il est clair qu’il s’est agi d’un raid aérien syrorusse. Aucun avion de la coalition internationale n’était à moins de 50 kilomètres du lieu de la tragédie. «Le type de munitions utilisé, la taille de la zone ciblée et la durée de l’attaque laissent clairement entendre que celle-ci était planifiée méticuleusement et menée sans état d’âme par les forces aériennes syriennes pour empêcher de façon délibérée l’apport de l’aide humanitaire», relève le rapport, remettant clairement en question la rhétorique de Damas niant toute implication.
Les attaques contre des hôpitaux, le personnel médical et des ambulances pourraient équivaloir à des crimes de guerre