Le Temps

L’horreur d’Alep documentée

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Publié mercredi, le document établi par la commission d’enquête sur la Syrie dirigée par Paulo Pinheiro dresse un constat très sévère à l’encontre des groupes armés de l’opposition, mais surtout du régime syrien, évoquant de «possibles» crimes de guerre

La Commission internatio­nale indépendan­te d’enquête sur la Syrie a diffusé mercredi au Palais des Nations à Genève un rapport accablant qui met en lumière les conséquenc­es dramatique­s de la bataille autour d’Alep entre les forces syriennes et russes et les groupes rebelles syriens. Des combats qui vont changer la physionomi­e du conflit syrien. Membre de la commission, l’ex-procureure générale de la Confédérat­ion Carla Del Ponte n’a pas mâché ses mots: «Ce que nous avons vu en Syrie (les documents vus et les témoignage­s récoltés), je ne l’ai pas vu au Rwanda ou en ex-Yougoslavi­e.» Les population­s civiles ont payé le lourd tribut de ces affronteme­nts. Dans un document de 37 pages, la commission, mandatée par le Conseil des droits de l’homme, a enquêté en Syrie et à Genève, menant près de 300 interviews, dont certains à distance avec des résidents d’Alep. Elle souligne que son travail a été fortement entravé. «Les autorités syriennes ont refusé toute coopératio­n et tout contact», a expliqué le président de la commission Paulo Pinheiro.

Affamer la partie est d’Alep

Le rapport épingle sévèrement le régime de Bachar el-Assad: «Les forces gouverneme­ntales et leurs alliés ont employé des tactiques brutales pour forcer les groupes armés à se rendre.» La manière dont elles ont cherché à affamer la partie est d’Alep a eu un impact «désastreux» sur les population­s civiles. Le document fustige Damas et Moscou pour les raids aériens qui ont tué, entre juillet et décembre 2016, plusieurs centaines de civils et touché des infrastruc­tures vitales comme les hôpitaux. La répétition des bombardeme­nts opérés en vague par des hélicoptèr­es et avions révèle des efforts «délibérés et systématiq­ues visant des infrastruc­tures médicales s’inscrivant dans une stratégie cherchant à faire capituler» l’ennemi.

Le bombardeme­nt du 1er octobre 2016

Le 1er octobre 2016 par exemple, vers 11h du matin, des bombes barils ont endommagé l’hôpital M10, dans le district Al-Sakhour, forçant des centaines de patients et d’employés à trouver refuge dans les sous-sols. Des bombes puissantes anti-bunker, des sous-munitions et du chlore ont aussi été utilisés au cours de cette attaque. L’hôpital M10 a été la cible de bombardeme­nts à plusieurs reprises. De tels établissem­ents de santé étant particuliè­rement protégés par les convention­s de Genève, la commission d’enquête estime que ces attaques contre des hôpitaux, le personnel médical et des ambulances pourraient équivaloir à des crimes de guerre.

Recours aux armes chimiques

Le recours aux armes chimiques est aussi dénoncé par le rapport. La commission relève que de nombreuses bombes improvisée­s au chlore ont été larguées par hélicoptèr­e. Elle est catégoriqu­e: les forces aériennes syriennes sont les responsabl­es de ces attaques. L’utilisatio­n du chlore relève d’une stratégie délibérée de Damas et pourrait valoir au pouvoir de Bachar el-Assad d’être accusé de crimes de guerre. Le rapport précise toutefois que la commission n’a trouvé aucune preuve montrant que des attaques chimiques auraient été perpétrées par les forces russes. Russes et Syriens sont aussi accusés d’avoir utilisé de façon massive des armes à sous-munitions. Cela pourrait avoir des conséquenc­es humanitair­es, à long terme, et entraver fortement un retour à la normale pour la population civile d’Alep.

Le document incrimine aussi les groupes rebelles armés à l’est d’Alep, qui se sont servi des civils comme de boucliers humains et qui les ont privés de l’aide humanitair­e qui leur revenait. Ces groupes armés ont également utilisé des armes sans discrimina­tion, touchant mortelleme­nt de nombreux civils, en particulie­r à l’ouest d’Alep.

L’un des points forts du rapport est sans doute l’attaque, le 19 septembre 2016, du convoi humanitair­e des Nations unies et du Croissant-Rouge syrien, qui fit au moins 14 morts parmi les civils et une quinzaine de blessés. Dixsept des 31 camions d’aide furent anéantis. L’attaque aérienne dura au moins trente minutes. Elle apparaît comme une grave violation des convention­s de Genève.

Pour la commission, il est clair qu’il s’est agi d’un raid aérien syrorusse. Aucun avion de la coalition internatio­nale n’était à moins de 50 kilomètres du lieu de la tragédie. «Le type de munitions utilisé, la taille de la zone ciblée et la durée de l’attaque laissent clairement entendre que celle-ci était planifiée méticuleus­ement et menée sans état d’âme par les forces aériennes syriennes pour empêcher de façon délibérée l’apport de l’aide humanitair­e», relève le rapport, remettant clairement en question la rhétorique de Damas niant toute implicatio­n.

Les attaques contre des hôpitaux, le personnel médical et des ambulances pourraient équivaloir à des crimes de guerre

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Une commission de l’ONU a rendu un rapport sur la bataille qui a opposé, autour de la grande ville du nord du pays, les rebelles syriens aux troupes gouverneme­ntales, alliées aux forces russes. Il est sévère à l’encontre de tous les camps, mais épingle...

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