Donald Trump change de ton, mais pas de discours
Pour son premier discours devant le Congrès, le président a répété l’essentiel de son argumentaire de campagne. Tout en se montrant rassurant sur les objectifs du pays en matière de politique étrangère
Que faut-il retenir du discours de Donald Trump devant le Congrès? Le président a changé de ton. S’il maintient le cap s’agissant de sa politique protectionniste et isolationniste, s’il reste très ferme dans son intention de lutter contre l’immigration clandestine, il a renoncé au ton martial adopté le jour de l’investiture. Pas d’allusion au «carnage de l’Amérique», ni d’attaques envers les médias. Il a préféré délivrer «un message d’unité et de force» et saluer «l’émergence d’une nouvelle fierté nationale», pour «ouvrir un nouveau chapitre de la grandeur américaine».
Pourquoi un tel changement? Sa cote de popularité est au plus bas. C’est la pire jamais enregistrée par un président à la veille d’un discours devant le Congrès. Selon un sondage de CNN, seuls 44% d’Américains l’approuvent. Donald Trump, qui a commencé son mandat au pas de charge et de manière assez désordonnée, a déjà pu tester les limites de sa politique. Son décret anti-immigration, qui visait à interdire pendant 120 jours aux réfugiés d’entrer sur territoire américain et prévoyait une interdiction similaire, de 90 jours, pour les ressortissants de sept pays à majorité musulmane, a été suspendu par la justice après avoir provoqué le chaos.
Attitude plus présidentielle
Surtout, malgré son sentiment de toute-puissance, les républicains contrôlant pour la première fois depuis 2006 à la fois la Maison-Blanche et les deux Chambres du Congrès, Donald Trump est conscient que certains ne le suivent pas. Au Sénat, il suffit de deux républicains réfractaires pour que ses nominations ne soient pas confirmées. Mardi, Donald Trump a à plusieurs reprises appelé les démocrates et les républicains à «travailler ensemble». Il espère notamment faire passer un budget 2018 avec 54 milliards de dollars de plus pour la Défense, au détriment des autres départements.
Donald Trump a donc surpris, adoptant enfin une attitude présidentielle. Plus calme, déterminé, en limitant ses effets de gestuelle. Même ses détracteurs habituels le reconnaissent. Comme le souligne le site The Hill, «il a su gratifier les démocrates de quelques branches de laurier, donner de la viande rouge aux conservateurs et adopter un ton plus apaisé qui a surpris les membres des deux partis».
Mais ne nous leurrons pas: Donald Trump est resté très ferme sur ses promesses de campagne. Il a recouru à sa rhétorique favorite de candidat: «Nous allons assécher le marigot.» Il a de nouveau qualifié l’Obamacare, qu’il va abroger alors que le système a permis à plus de 20 millions d’Américains de souscrire une couverture maladie, de «désastre». Son remplacement s’avère compliqué: un projet de loi a été enterré la semaine dernière, faute de consensus. Il a surpris, mais la plupart des démocrates ont malgré tout quitté l’hémicycle sans l’applaudir. Ce qui est inhabituel.
Sur le plan de l’immigration, Donald Trump a confirmé qu’il construirait un «grand, grand mur» avec le Mexique, et qu’il débarrasserait son pays des «clandestins criminels, barons de la drogue et membres de gang». Pas un mot en revanche sur une possible régularisation de sans-papiers sans casier judiciaire. S’il fallait noter un dérapage, ce serait celui-là: il a annoncé la création d’un «Bureau pour les victimes de crimes liés à l’immigration». Une annonce qui lui a valu des signes de désapprobation.
Dossiers effleurés
Pour le reste, Donald Trump a davantage confirmé ses intentions que livré de nouveaux messages: éradiquer le terrorisme islamique, garantir la sécurité de l’emploi, taxer l’importation de produits étrangers et favoriser les exportations, réduire les impôts pour la classe moyenne, investir 1000 milliards de dollars dans les infrastructures. Donner la priorité aux Américains – «America first» – reste son engagement central. Il n’a fait qu’effleurer la plupart des dossiers. Il a peu évoqué sa politique étrangère, mais s’est voulu rassurant: «L’Amérique est disposée à trouver de nouveaux amis, à forger de nouveaux partenariats, lorsque nos intérêts partagés s’alignent. Nous voulons l’harmonie et la stabilité, pas la guerre et le conflit.» Il a assuré qu’il «respecterait les institutions historiques et les droits souverains des nations».
Donald Trump a aussi joué avec l’émotion. Il a invité deux veuves de policiers tués en 2014 par un clandestin. Mais surtout, il a fait venir la veuve de Ryan Owens, soldat des forces spéciales tué lors d’un raid américain contre Al-Qaida au Yémen le 29 janvier. Présente dans l’hémicycle, à côté d’Ivanka Trump, elle était en larmes lorsque la mémoire de son mari a été applaudie. Le père du soldat avait lui refusé de rencontrer Donald Trump, présent sur la base aérienne de Dover pour accueillir la dépouille du soldat. Parce qu’il le tient pour responsable de la mort de son fils. En invitant la veuve, Donald Trump tente d’éteindre une polémique autour de ce raid très critiqué. Il a même osé dire, en référence à la longueur des applaudissements: «Ryan regarde depuis là-haut, vous le savez, et il est très content car je crois qu’un record vient d’être battu.»
Enfin, il a choisi de terminer sur une note positive: «A partir de maintenant, l’Amérique sera portée par nos aspirations et non accablée par nos peurs. Inspirée par le futur et non soumise aux échecs du passé. Guidée par notre vision et non aveuglée par nos doutes.» Autre signe de changement: Donald Trump s’est contenté d’un modeste «Thank you!» sur Twitter.
Il va devoir maintenant prouver que c’est bien dans cet état d’esprit là qu’il compte diriger les EtatsUnis. Et qu’il ne s’agit pas que d’un effort rhétorique pour redorer son blason. Chuck Schumer, chef des démocrates du Sénat, reste sceptique. «Ses discours sont populistes, destinés aux travailleurs qui ont voté pour lui. Mais il gouverne à l’extrême droite, au profit des groupes d’intérêts», a-t-il dénoncé lors de plusieurs interviews télévisées.
L’effet Trump ne s’estompe pas. Les principales places financières d’Asie, d’Europe et des Etats-Unis ont progressé de façon fulgurante mercredi dans le sillage du premier discours du nouveau président américain mardi soir devant le Congrès. Dès l’ouverture de la séance de mercredi, Wall Street a évolué à des niveaux sans précédent, le Dow Jones dépassant pour la première fois 21000 points. La barre de 20000 avait été atteinte le 25 janvier dernier.
Les places financières européennes ont aussi clôturé en hausse. En tête figure le FTSE-100 londonien, qui a progressé de 2,13%. Selon l’agence Bloomberg, les actions mondiales ont renchéri de plus de 70000 milliards de dollars depuis l’élection de Donald Trump à la présidence américaine le 8 novembre dernier.
Donald Trump n’a pourtant pas détaillé les mesures économiques qu’il avait préconisées lors de sa campagne électorale et qu’il a répétées après son élection le 8 novembre dernier. Il n’a pas non plus indiqué les sources de leur financement. En revanche, il a rassuré les investisseurs, réitérant son engagement à donner un coup de pouce à l’économie américaine. Réformes fiscales en faveur des ménages et des entreprises, investissements massifs pour renouveler les infrastructures et déréglementation de l’économie et de la finance restent ainsi à l’agenda.
L’heure de vérité va sonner
«Le président Trump est un excellent communicateur qui sait produire les effets d’annonce, analyse Christopher Dembik, chef économiste à Saxo Bank à Paris. L’heure de vérité va toutefois sonner prochainement.» Et de poursuivre: «Les baisses d’impôts doivent être compensées par d’autres revenus ou par la coupe des dépenses publiques. Le moment viendra lorsque les investisseurs lui demanderont de passer de la parole aux actes.» Dans ce contexte, l’économiste parisien appelle les investisseurs à la prudence.
Christophe Donay, chef de la recherche chez Pictet Wealth Management, affirme aussi que la présentation de Donald Trump de mardi était un non-événement. «Il n’a rien annoncé de neuf, dit-il. En revanche, son discours était teinté d’optimisme.» Selon lui, les investisseurs ont apprécié le discours rassurant et le ton modéré par rapport aux sujets conflictuels comme le protectionnisme et l’immigration. Dans le même ordre d’idées, le président américain s’est montré réaliste sur le système de santé Obamacare. «Il va l’abroger, mais il va le remplacer par un autre plan plus efficace et moins coûteux, explique l’économiste de Pictet. Dans ce cas aussi, les investisseurs ont apprécié cette position modérée et équilibrée.»
Vent d’optimisme
Pour Christophe Donay, le vent d’optimisme peut souffler jusqu’à fin septembre, lorsque le budget américain pour 2018 sera soumis au Congrès. «Les marchés, eux, auront le regard braqué sur les premiers éléments de la politique économique de la nouvelle administration, qui seront dévoilés en avril ou en mai», relève-t-il.
Cette évolution boursière a une deuxième raison. Il s’agit, selon Christopher Dembik, de la perspective d’une nouvelle hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis, liée à une bonne communication de la Réserve fédérale (Fed). En ce début de semaine, plusieurs membres de son comité directeur ont laissé entendre qu’une hausse était imminente. Selon William Dudley, président de la Réserve fédérale de New York, «un resserrement monétaire s’impose». Et son homologue de San Francisco, John Williams: «La question d’une hausse sera sérieusement débattue ce mois.» Janet Yellen, la présidente de la Fed, est attendue vendredi à Chicago.
Par ailleurs, les marchés surveilleront deux prochains rendez-vous: la réunion de la Fed le 16 mars, puis celle des ministres des Finances du G20, les 17 et 18 mars en Allemagne.
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