Comment l’UDC met sa patte sur les élections cantonales valaisannes
A quelques jours des élections, tous les partis dénoncent un climat délétère. Beaucoup accusent les militants d’Oskar Freysinger. Les cadres de l’UDC contestent cette version des faits mais reconnaissent qu’ils ont cherché à polariser le débat
Cosigné par les deux présidents de l’UDC, un communiqué s’en prend au rédacteur en chef du Nouvelliste, Vincent Fragnière, décrit comme un «grand inquisiteur» qui diffuse des «diatribes insultantes et mensongères». Sur les réseaux, les militants encouragent les Valaisans à se désabonner du quotidien: «Ses jours sont comptés.»
Dans une chronique, le journaliste écrivait que «l’UDC a sa place au gouvernement» mais «doit réfléchir sur sa manière de faire de la politique en Valais». Contacté par Le Temps, il analyse: «Pendant la campagne, nous avons pris des positions éditoriales qui concernaient tous les partis, et seule l’UDC a réagi. Ça fait partie de sa stratégie.»
Le «media bashing»
Popularisée par les droites dures française et américaine, la critique systématique des médias muscle l’arsenal de l’UDC. Dans les premiers jours de la campagne, Le Temps embarrassait Oskar Freysinger en décrivant le profil de son consultant survivaliste, Piero San Giorgio. Chargé de communication du ministre, Slobodan Despot répond en décrivant le quotidien comme le «Politburo de la pensée unique».
Le jour où il déposait sa liste électorale à la chancellerie et où la Suisse apprenait la fin brutale du magazine L’Hebdo, Oskar Freysinger insistait face aux journalistes: «Je travaille à la mort de la presse.» Depuis quelques semaines, les militants UDC insultent régulièrement les journalistes qui couvrent les élections valaisannes.
De Poutine à Trump
Candidat à sa réélection, Oskar Freysinger martèle son admiration pour Vladimir Poutine ou Donald Trump. Depuis janvier, il dicte les règles du jeu: les électeurs devront choisir entre conservateurs et progressistes. La campagne s’enflamme quand une affiche de l’UDC compare les difficultés économiques des Valaisans aux loyers que l’Etat assume pour les migrants.
Evénement rare à Sion: à l’initiative d’un enseignant socialiste, plus de mille citoyens manifestent contre le conseiller d’Etat. Simultanément, un collectif réunit 40000 francs pour distribuer un dépliant qui appelle à lui couper la voie du gouvernement. Pour le président de l’UDC, Jérôme Desmeules, «ces mouvements nous font plus de bien que de mal».
Polarisation
Seule contre tous, l’UDC s’est placée dans une situation que ses cadres apprécient. Jérôme Desmeules avoue que la polarisation du débat fait partie de sa stratégie: «Nous savions que tout le monde lutterait contre nous et nous avons choisi d’embrasser le phénomène plutôt que de le rejeter.» Il insiste: «C’est vrai que nous avions intérêt à créer cette situation, mais nos adversaires aussi.»
Les socialistes ont choisi de le soutenir: en cherchant le duel face à Oskar Freysinger, Christophe Darbellay élargit son électorat. Il contribue aussi à la polarisation du débat. La campagne dérape. Le démocrate-chrétien dénonce les rumeurs que les cadres de l’UDC diffusent et qui portent sur sa vie privée: «Les attaques sont violentes, systématiques et perverses.»
Violence sur les réseaux
Plus une conversation en ligne dure, et plus la probabilité d’y trouver une comparaison avec Adolf Hitler augmente: les réseaux valaisans vérifient la loi de Godwin. A gauche comme à droite, les militants se traitent mutuellement de «nazis». Quand Christophe Darbellay célèbre la fête nationale du Kosovo, plusieurs candidats UDC dénoncent «soumission» et «prostitution».
Candidat UDC au parlement, Adrien de Riedmatten incarne le mauvais esprit qui prospère sur les réseaux. Il compare les consignes du Parti socialiste aux pratiques des communistes chinois: «Pour Rossini, ce sera direct une balle dans la nuque.» L’UDC plaide l’humour. Le socialiste, lui, entend déposer une plainte: «Le climat délétère qui règne aujourd’hui dans cette campagne doit être dénoncé.»
Tous contre l’UDC
Dans les médias, de nombreux politiciens s’accordent pour condamner l’agressivité qui rythme le débat. Et pour désigner les coupables. Pour Barbara Lanthemann, présidente du PS, «il y a un parti qui attise la haine», en alternant «provocation et victimisation». Pour le président du PDC, Serge Métrailler, «l’UDC est très agressive sur les réseaux sociaux».
«Nous savions que tout le monde lutterait contre nous et nous avons choisi d’embrasser le phénomène»
Jérôme Desmeules conteste cette version des faits: «Je crois que des phrases très dures ont été prononcées dans tous les camps.» Si le président de l’UDC reconnaît «des provocations», il soutient qu’il n’a jamais souhaité «ce torrent d’insultes». A ceux qui lui reprochent d’avoir créé la situation, il rétorque: «C’est la même logique infâme qui voudrait que la femme soit coupable de son propre viol.»
Les observateurs les plus expérimentés y voient la forme actuelle d’une vieille agressivité. L’historien Philippe Bender relativise: «Dans les années 1930 ou après la guerre, les campagnes électorales ont abouti plusieurs fois à des violences physiques.» Libéral-radical, il peste surtout contre un débat qui «réduit des questions complexes à des choix élémentaires».
Ancien rédacteur en chef du Nouvelliste, François Dayer partage cette lecture de la campagne. Pour lui, «l’UDC a introduit une rhétorique brutale et caricaturale dans un paysage politique qui ronronnait depuis quelques décennies». Le démocrate-chrétien analyse: «Les autres partis ont été forcés à s’adapter et le discours s’est appauvri, au profit de l’UDC.»