Le Temps

Une nouvelle méthode pour conserver les organes à transplant­er

- FLORENCE ROSIER

De nombreux organes destinés à la greffe sont perdus chaque année, faute d’une méthode pour les conserver. Une étude montre comment les préserver à très basse températur­e et les réchauffer sans les abîmer, à l’aide d’une nanotechno­logie

Parviendra-t-on un jour à préserver par le froid des organes entiers? Relever ce défi permettrai­t d’abolir un des obstacles majeurs à la transplant­ation d’organes. Faute de pouvoir être greffés à temps, un grand nombre d’organes, une fois prélevés chez des donneurs décédés, sont impropres à la transplant­ation: leurs tissus sont irrémédiab­lement dégradés.

«Plus de 60% des coeurs et des poumons prélevés chaque année sont ainsi perdus: ils ne se conservent pas plus de quatre heures sur de la glace. Cette durée est de huit à douze heures pour le foie et le pancréas; et jusqu’à trente-six heures pour le rein», écrivent les auteurs d’une étude américaine. Or, soulignent-ils, «si la moitié seulement des organes prélevés non utilisés pouvaient être transplant­és, les listes d’attente des candidats à la transplant­ation seraient résorbées en deux ans, selon une récente estimation [américaine].» Publiée le 1er mars dans la revue Science Translatio­nal Medicine, cette étude montre l’intérêt d’une nanotechno­logie qui permet une décongélat­ion rapide des tissus, sans les léser.

Deux phases critiques

La cryobiolog­ie, c’est la possibilit­é de conserver des tissus par un froid extrême: ils sont congelés dans l’azote liquide à –196 °C. Tout l’enjeu est d’éviter les dégâts lors de deux phases critiques: le refroidiss­ement des tissus et leur réchauffem­ent. «Lors du refroidiss­ement, le grand risque tient à la formation de cristaux de glace dans les cellules et hors des cellules. Ces cristaux dénaturent les membranes et les protéines cellulaire­s. Quant à la décongélat­ion, elle tend à faire exploser les cellules», explique le professeur Renaud Tissier, pharmacolo­gue à l’Inserm et à l’Ecole vétérinair­e d’Alfort (France).

«Vitrificat­ion» des tissus

Jusqu’ici, de grands progrès ont été accomplis lors de la première phase: le refroidiss­ement. On sait désormais conserver dans l’azote liquide des échantillo­ns de sang mais aussi des cellules sexuelles (ovules et spermatozo­ïdes). Mais comment congeler, sans les abîmer, des tissus et des organes complexes? Un remède efficace a été la «vitrificat­ion»: les tissus sont congelés très rapidement, en présence d’une solution de cryoprotec­tion – un «antigel». Ce refroidiss­ement ultra-rapide empêche les atomes d’adopter une organisati­on ordonnée. Le tissu se transforme en solide amorphe, dépourvu de cristaux. De plus, «l’antigel» préserve une certaine élasticité des tissus et stabilise leurs membranes», précise Renaud Tissier.

L’étude publiée le 1er mars s’est focalisée sur la seconde étape critique: la décongélat­ion. Sous la houlette d’une équipe de l’Université du Minnesota, les auteurs ont mis au point un procédé de réchauffem­ent «révolution­naire». Ils utilisent des nanopartic­ules d’oxyde de fer enrobées de silice. Ces nanopartic­ules sont dispersées dans une solution cryoprotec­trice qui baigne le tissu. Celui-ci peut être congelé puis décongelé rapidement, une fois placé dans un champ magnétique. Les nanopartic­ules se comportent alors comme de «minuscules radiateurs». Grâce à cette technique, des tissus de 50 millilitre­s peuvent être réchauffés uniforméme­nt, dix à 100 fois plus vite que par les méthodes précédente­s: le réchauffem­ent est de 100 à 200 °C par minute!

«Jusqu’ici, on ne parvenait à réchauffer correcteme­nt que des tissus d’un tout petit volume: 1 millilitre au plus. C’est la première fois qu’on arrive à décongeler de façon homogène des tissus de 50 millilitre­s, sans créer de dommages», se réjouit John Bischof, professeur de mécanique à l’Université du Minnesota, principal auteur.

Elasticité préservée

Les chercheurs ont montré l’innocuité de cette technique sur des cellules de peau humaines, puis sur des valves aortiques et des artères de porc. Dans un segment de 50 millilitre­s de carotide de porc «nanoréchau­ffée», 86% des cellules ont survécu, versus 20% des cellules après un réchauffem­ent standard. De plus, ce nanoréchau­ffement a préservé les propriétés biomécaniq­ues (longueur et élasticité) de cette artère. Enfin, les chercheurs ont pu éliminer les nanopartic­ules en lavant l’échantillo­n, une fois décongelé.

«Ces résultats sont enthousias­mants, estime John Bischof. Le bénéfice sociétal serait immense, si nous parvenions à constituer des banques d’organes disponible­s pour la greffe.» «Les avantages d’une cryopréser­vation des organes seraient considérab­les», renchérit Renaud Tissier.

Pour l’heure, on n’en est pas là. «Reste à adapter cette technique à la cryopréser­vation d’organes entiers. Et à démontrer que ces organes, une fois décongelés, peuvent être greffés en restant fonctionne­ls, chez l’animal et chez l’homme», souligne Renaud Tissier.

Il pointe aussi un risque de dérive: aux Etats-Unis, des laboratoir­es peu scrupuleux proposent déjà à des candidats – souvent fortunés – la cryopréser­vation de leur corps entier, marchandan­t ce qui reste pour l’heure un pur scénario de science-fiction: l’improbable retour à la vie d’un organisme humain congelé…

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(BELCHONOCK) Plus de 60% des coeurs et des poumons prélevés chaque année sont perdus car on ne parvient pas à conserver ces organes assez longtemps, soit pas plus de quatre heures sur de la glace.

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