Une nouvelle méthode pour conserver les organes à transplanter
De nombreux organes destinés à la greffe sont perdus chaque année, faute d’une méthode pour les conserver. Une étude montre comment les préserver à très basse température et les réchauffer sans les abîmer, à l’aide d’une nanotechnologie
Parviendra-t-on un jour à préserver par le froid des organes entiers? Relever ce défi permettrait d’abolir un des obstacles majeurs à la transplantation d’organes. Faute de pouvoir être greffés à temps, un grand nombre d’organes, une fois prélevés chez des donneurs décédés, sont impropres à la transplantation: leurs tissus sont irrémédiablement dégradés.
«Plus de 60% des coeurs et des poumons prélevés chaque année sont ainsi perdus: ils ne se conservent pas plus de quatre heures sur de la glace. Cette durée est de huit à douze heures pour le foie et le pancréas; et jusqu’à trente-six heures pour le rein», écrivent les auteurs d’une étude américaine. Or, soulignent-ils, «si la moitié seulement des organes prélevés non utilisés pouvaient être transplantés, les listes d’attente des candidats à la transplantation seraient résorbées en deux ans, selon une récente estimation [américaine].» Publiée le 1er mars dans la revue Science Translational Medicine, cette étude montre l’intérêt d’une nanotechnologie qui permet une décongélation rapide des tissus, sans les léser.
Deux phases critiques
La cryobiologie, c’est la possibilité de conserver des tissus par un froid extrême: ils sont congelés dans l’azote liquide à –196 °C. Tout l’enjeu est d’éviter les dégâts lors de deux phases critiques: le refroidissement des tissus et leur réchauffement. «Lors du refroidissement, le grand risque tient à la formation de cristaux de glace dans les cellules et hors des cellules. Ces cristaux dénaturent les membranes et les protéines cellulaires. Quant à la décongélation, elle tend à faire exploser les cellules», explique le professeur Renaud Tissier, pharmacologue à l’Inserm et à l’Ecole vétérinaire d’Alfort (France).
«Vitrification» des tissus
Jusqu’ici, de grands progrès ont été accomplis lors de la première phase: le refroidissement. On sait désormais conserver dans l’azote liquide des échantillons de sang mais aussi des cellules sexuelles (ovules et spermatozoïdes). Mais comment congeler, sans les abîmer, des tissus et des organes complexes? Un remède efficace a été la «vitrification»: les tissus sont congelés très rapidement, en présence d’une solution de cryoprotection – un «antigel». Ce refroidissement ultra-rapide empêche les atomes d’adopter une organisation ordonnée. Le tissu se transforme en solide amorphe, dépourvu de cristaux. De plus, «l’antigel» préserve une certaine élasticité des tissus et stabilise leurs membranes», précise Renaud Tissier.
L’étude publiée le 1er mars s’est focalisée sur la seconde étape critique: la décongélation. Sous la houlette d’une équipe de l’Université du Minnesota, les auteurs ont mis au point un procédé de réchauffement «révolutionnaire». Ils utilisent des nanoparticules d’oxyde de fer enrobées de silice. Ces nanoparticules sont dispersées dans une solution cryoprotectrice qui baigne le tissu. Celui-ci peut être congelé puis décongelé rapidement, une fois placé dans un champ magnétique. Les nanoparticules se comportent alors comme de «minuscules radiateurs». Grâce à cette technique, des tissus de 50 millilitres peuvent être réchauffés uniformément, dix à 100 fois plus vite que par les méthodes précédentes: le réchauffement est de 100 à 200 °C par minute!
«Jusqu’ici, on ne parvenait à réchauffer correctement que des tissus d’un tout petit volume: 1 millilitre au plus. C’est la première fois qu’on arrive à décongeler de façon homogène des tissus de 50 millilitres, sans créer de dommages», se réjouit John Bischof, professeur de mécanique à l’Université du Minnesota, principal auteur.
Elasticité préservée
Les chercheurs ont montré l’innocuité de cette technique sur des cellules de peau humaines, puis sur des valves aortiques et des artères de porc. Dans un segment de 50 millilitres de carotide de porc «nanoréchauffée», 86% des cellules ont survécu, versus 20% des cellules après un réchauffement standard. De plus, ce nanoréchauffement a préservé les propriétés biomécaniques (longueur et élasticité) de cette artère. Enfin, les chercheurs ont pu éliminer les nanoparticules en lavant l’échantillon, une fois décongelé.
«Ces résultats sont enthousiasmants, estime John Bischof. Le bénéfice sociétal serait immense, si nous parvenions à constituer des banques d’organes disponibles pour la greffe.» «Les avantages d’une cryopréservation des organes seraient considérables», renchérit Renaud Tissier.
Pour l’heure, on n’en est pas là. «Reste à adapter cette technique à la cryopréservation d’organes entiers. Et à démontrer que ces organes, une fois décongelés, peuvent être greffés en restant fonctionnels, chez l’animal et chez l’homme», souligne Renaud Tissier.
Il pointe aussi un risque de dérive: aux Etats-Unis, des laboratoires peu scrupuleux proposent déjà à des candidats – souvent fortunés – la cryopréservation de leur corps entier, marchandant ce qui reste pour l’heure un pur scénario de science-fiction: l’improbable retour à la vie d’un organisme humain congelé…
■