Les salons automobiles ont-ils encore un avenir à l’ère du virtuel?
Née à la Belle Epoque, en pleine révolution des transports, l’idée de l’exposition multimarques commence à dater. Comment montrer des algorithmes sur un stand? Le Salon de Genève, pourtant, a encore des atouts à faire valoir
Le 4 mai 1905, le Journal de Genève encensait la première édition de l’Exposition nationale suisse d’automobile, organisée dans le bâtiment électoral du boulevard Georges-Favon. Le quotidien notait à quel point il s’agissait d’un vrai salon, «du point de vue de l’élégance, du confort, de l’harmonie des couleurs, de l’amabilité et de l’intimité des hôtes».
Un bon siècle plus tard, à l’orée de la 87e édition de la manifestation nationale, son président, Me Maurice Turrettini, tient le même discours: «Le tour du Salon est un véritable plongeon dans l’univers des carrosseries aux lignes fluides ou marquées, des couleurs scintillantes ou profondes des laques ultra-performantes et du parfum des cuirs de haute résistance.»
Fréquentation en baisse
Tout se passe comme si le concept du «salon automobile» était imperméable au changement. Il n’en est rien. La vérité est que ce type de manifestation né à la Belle Epoque, en plein essor des transports, est une idée vieillissante qui a un urgent besoin de renouvellement. Là encore, la révolution numérique bouleverse les anciens fondamentaux. L’an dernier, à la fin de la 86e édition du Salon de l’auto de Genève, un représentant des constructeurs – cité par Le Monde – se demandait: «Comment permettre aux gens de toucher du doigt ce qu’est vraiment la voiture connectée, la voiture électrique, la voiture autonome?»
Cette inquiétude a secoué le dernier Mondial de l’automobile de Paris, en septembre dernier. Ses responsables ont mis la baisse de fréquentation (–14%) sur le compte des mesures antiterroristes en vigueur dans l’Hexagone, qui auraient découragé des visiteurs. Reste que Volvo, Ford, Mazda et les enseignes de luxe, de Bentley à Lamborghini, brillaient par leur absence. Les constructeurs français avaient réduit leur surface d’exposition. Le plus ancien (1898) et le plus fréquenté des salons automobiles (un million d’entrées en moyenne) est en pleine crise existentielle. En 2018, lors de sa prochaine édition, il devrait réduire sa durée d’ouverture.
Nouveau public
Les constructeurs n’en sont pas à renoncer à leur présence dans tous les salons de l’auto. Surtout que ceux organisés en Chine ou en Inde sont en plein essor. Mais l’heure est au doute. «Nous discutons actuellement sur le principe de notre présence systématique à ces motor shows, note Sascha Heiniger, porte-parole de Volvo Suisse. Ils coûtent très cher et n’assurent pas forcément une forte présence médiatique. Nous privilégions de plus en plus les événements hors salons.»
Pour une marque de taille moyenne, la tenue d’un stand lors d’un salon coûte environ 2 millions de francs. Pendant les journées de presse, le nombre des annonces est désormais tel que l’impact médiatique se brouille autant qu’il s’affaiblit. D’où la tentation de communiquer lors d’événements spécifiques. Ou lors de rendez-vous technologiques comme la foire électronique CES à Las Vegas, où les marques automobiles sont de plus en plus présentes.
«Il faut aller où se trouvent nos clients, plaide Sascha Heiniger. Un salon de l’auto s’adresse à un public de convaincus, qui a ses habitudes et ses repères. Or ce public n’est pas celui des «digital natives», pas forcément intéressés par une carrosserie, un moteur, une jante. C’est pourquoi nous ouvrons des magasins éphémères et organisons des «art sessions» ou autres événements taillés sur mesure.»
Visite virtuelle
Volvo sera pourtant présent à l’imminent Salon de Genève (9-19 mars). Le constructeur privilégie désormais un motor show dans ses trois grandes régions commerciales, l’Europe, l’Asie et les Amériques. Pour l’Europe, c’est Palexpo à la fin de l’hiver. Dans des halles à taille humaine, loin du gigantisme de Paris ou Francfort. Un salon annuel qui se déroule dans un pays sans grande industrie automobile, où toutes les marques sont à égalité de chance. Où des carrossiers comme Pininfarina, présent à Genève depuis 1936, se mêlent étroitement aux ténors de l’industrie. Une manifestation, enfin, qui cible des acheteurs à fort pouvoir d’achat.
«Les marques haut de gamme vont là où se trouve leur clientèle, remarque André Hefti, directeur du Salon de l’auto. On peut comprendre que Bugatti ou Lamborghini hésitent à se rendre au Mondial de Paris. Pour Genève, ils ne se posent aucune question. L’an dernier, McLaren a vendu deux voitures pendant les journées de presse, avant même l’ouverture.»
Concurrence des foires électroniques
André Hefti poursuit: «On me parle de la nouvelle concurrence des foires électroniques. Mais pour les constructeurs, être présent au CES de Las Vegas, c’est surtout pouvoir dialoguer avec leurs partenaires de la Silicon Valley. Et les événements hors salons des marques existent depuis longtemps, sans qu’ils nuisent à une manifestation comme la nôtre.»
Mais comment adapter une manifestation analogique, qui montre du tangible et du scintillant, à une époque qui goûte de plus en plus les technologies dématérialisées? Au point que des marques proposent dorénavant des visites virtuelles, sur le Web, de leur stand dans les salons traditionnels? «Nous pourrions consacrer à l’avenir toute la halle 3 de Palexpo à la numérisation de l’automobile, avance André Hefti. Il n’est toutefois pas sûr que les constructeurs nous le demandent. Ils tiennent au Salon de Genève tel qu’il se présente aujourd’hui, avec ce mix unique de technologie et de design.»
«Un salon de l’auto s’adresse à un public de convaincus, qui a ses habitudes et ses repères. Or ce public n’est pas celui des «digital natives» SASCHA HEINIGER, PORTE-PAROLE DE VOLVO SUISSE 87e Salon international de l’automobile, Genève-Palexpo, du 9 au 19 mars, www.palexpo.ch