Le Temps

Nathanaël Rochat, destructeu­r au grand coeur

Il allume Piccard et le système carcéral genevois. Mais ses vraies cibles sont quotidienn­es et vont de la séduction au fric. Et surtout, l’amuseur romand est un gentil, passionné par l’écrit

- MARIE-PIERRE GENECAND

«L’écriture, c’était mon premier amour, mais il faut tellement bosser. Seul et dans le vide. Il y a un côté absurde. Et puis, bon, le résultat, c’est pas ça»

On se dit qu’il est malin, Nathanaël Rochat. On imagine qu’il a une stratégie: enfiler le costume du bon gars pour se faire pardonner ses pires coups bas. Comme ce torpillage en plein vol de Solar Impulse chez Les beaux parleurs, l’émission dominicale de La Première, en novembre dernier. Un assassinat picco bello de l’engin le plus célèbre de la galaxie, que le drôle a réduit en bouillie. «Les panneaux solaires, ça existait déjà. Les avions, ça existait déjà. C’est pas parce qu’ils ont agrafé trois panneaux solaires sur un planeur que c’est le progrès.» Plus loin: «S’il veut faire un tour en ballon, Piccard, avec le melon qu’il a pris, il aura juste besoin d’une nacelle.» Bam et rebam. En cinq minutes chrono, Rochat n’a pas sauvé une plume de ce «projet de coucou en balsa qui avance pas plus vite qu’un Solex». Un délice qui crisse.

Alors, stratégie ou pas, le profil bas? «Même pas. Je suis un vrai gentil. C’est d’ailleurs une faiblesse chez moi, je suis trop gentil, je crois.» La confession est livrée au pied de l’Evêché de Lausanne, lors d’une poussée de printemps. «Regardez, je suis même en train de succomber à une attaque de pollen.» On vérifie. Les yeux, le nez, tout pleure en choeur. Oui, impossible d’en vouloir à ce grand gars tout doux, natif de la vallée de Joux, qui parle moins vite que son ombre et soupire souvent comme si «la vie, vraiment…»

Vocation tardive

Mais d’abord, cette surprise. Nathanaël Rochat n’a pas 30-35 ans. Il n’est pas, et de loin, contempora­in de Thomas Wiesel (27 ans), avec qui il fait, ces jours, le tour des théâtres romands. Rochat a 43 ans. L’âge de la maturité, des enfants – il en a deux, de 8 et 10 ans – et des tournants. Ou pas. Car l’humoriste s’est découvert sur le tard. Il a fait sa première Scène libre, à Lausanne, au début des années 2000, dans le caveau de l’Hôtel de Ville, où il avait vu précédemme­nt Vincent Kucholl et Gaspard Proust. «Je me suis dit: qu’est-ce que je risque? J’avais entendu quelqu’un se moquer des mous. J’ai écrit un sketch ultra-structuré sur la mollesse et le public était plié.»

Un roman dans ses tiroirs

On pense à la success-story, au conte de fées qui, désormais, ne va plus s’arrêter. On a tort. La semaine suivante, trop sûr de lui, le débutant retourne sur le plateau avec un texte moins bien ficelé, c’est le four. «J’ai compris que l’écrit était la clé de l’humour.» D’ailleurs, l’enfant de la Vallée n’a pas attendu la satire pour se lancer. C’est un scoop: Nathanaël Rochat a dans ses tiroirs un roman achevé qui raconte le parcours d’un type pas verni par la vie, mais vaillant. Trois ans de travail, entre 25 et 28 ans. «L’écriture, c’était mon premier amour, mais il faut tellement bosser. Seul et dans le vide. Il y a un côté absurde. Et puis, bon, le résul- tat, c’est pas ça.» Du coup, pas de bouquin, mais des billets bien balancés sur le quotidien.

«Mes sujets de prédilecti­on? Tout ce qui touche à l’humain. Une fois, j’ai fait un sketch sur un mec qui a trop envie de déféquer et qui est en ville sans pouvoir se soulager. Dit comme ça, ça paraît gore, mais le public a adoré et, à la fin de la soirée, un pote m’a dit qu’il n’y avait que moi qui pouvait parler de pipicaca pendant quatre minutes et que ça passe!» Sinon, le drôle brocarde les amours qui foirent ou les excès de zèle en matière d’éducation et de nutrition. «Des sujets d’adultes, quoi.» Ses modèles? «Coluche, je connais pas mal de ses sketches par coeur. Et aussi Bouillon. C’est une figure mythique dans ma région. Un type extraordin­aire, il écume les cantines et les fêtes de foot avec comme seul objectif: faire rire. J’admire!»

Car, il le dit et le répète: même quand il torpille Piccard ou les prisons genevoises à travers l’affaire Fabrice A., Nathanaël Rochat n’a «pas de message». «Je cherche juste la bonne blague et, pour ça, je pousse très loin, exprès, mais je ne pense pas tout ce que je dis.» Le retour du gentil. Un trait de famille? «Oui, j’ai grandi dans un milieu évangéliqu­e et mon père, contremaît­re de chantier, a toujours beaucoup travaillé. Ses seuls loisirs étaient l’église où il retrouvait sa communauté. Ma mère, mon frère et ma soeur, aussi, ont cet esprit de discrétion et d’humilité. J’ai vu la mer pour la première fois à 12 ans, pris l’avion à 15 ans. Du coup, quand j’ai viré comique, ça n’a pas été la fête à la maison. Difficile pour eux de concevoir qu’on peut gagner sa vie en faisant le mariole!»

La force du groupe

A propos, comment était Nathanaël enfant? «Premier de classe au début. Après, les copains ont pris le dessus.» Comme le foot, au FC Vallée de Joux. «Tout avait du sens sitôt que j’étais en bande. J’ai toujours aimé observer le groupe. Les maladroits, les fanfarons, les efficaces, les dispersés, etc.» Pour cette raison, lorsqu’il passe deux ans en Angleterre avec son papier d’employé de commerce en poche, le Romand ne rejoint pas les bureaux de la City, mais fait la plonge dans une cantine de supermarch­é des bas quartiers. «C’était dingue. On n’était pas agressés, c’était pire, on était méprisés, zappés, considérés comme des meubles, des zombies. Vivre ça une fois dans sa vie en pensant que des gars vivent ça tout le temps, ça rend plus conscient.» On entrevoit l’écrivain. Et puis le blagueur revient: «Mais sur scène, je parle essentiell­ement de sexe et de pognon, car c’est ça qui fait hurler les gens.»

▅ 11 mars, Bicubic, Romont. WieselRoch­at font leur stand-up. www.bicubic.ch

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