Le Temps

Réalisme sur le trumpisme

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Un peu plus d’un mois après l’investitur­e du président américain Donald Trump, il est à présent évident que sa présidence n’apportera rien de bon. Malheureus­ement les pessimiste­s se sont avérés réalistes: les choses ont vraiment pris un tour aussi mauvais qu’ils l’avaient annoncé. Les pires scénarios sont désormais des scénarios de référence. Tout espoir qu’une demande officielle, ou que des réalités politiques et économique­s, persuadent Trump d’adhérer aux politiques nationales et étrangères doit être écarté comme un voeu pieux.

Le réalisme force à l’acceptatio­n d’une vérité qui donne à réfléchir. Si le 45e président des Etats-Unis doit choisir entre respecter la Constituti­on américaine, qui limite son autorité par la séparation des pouvoirs, ou renverser cette Constituti­on, il choisira probableme­nt cette dernière possibilit­é. L’administra­tion Trump a l’intention de réaliser rien de moins qu’un changement de régime à Washington DC.

Tôt ou tard, la friction entre le président et le système constituti­onnel va créer une crise grave qui va ébranler les EtatsUnis en leur coeur, voire les rendre politiquem­ent méconnaiss­ables. Les attaques continues de Trump contre l’appareil judiciaire et contre la presse (deux institutio­ns indispensa­bles pour demander des comptes au pouvoir exécutif) ne laissent aucune place à une interpréta­tion différente.

Même si le système constituti­onnel américain l’emporte, le chaos qui s’ensuivra durant la présidence de Trump risque de causer des dommages irréversib­les. Réfléchiss­ez à ce qui pourrait se produire dans le cas d’une grave attaque terroriste aux Etats-Unis au cours de cette période d’agitation. Les Etats-Unis vontils glisser vers un autoritari­sme similaire à celui que nous voyons en Turquie? Nous ne l’espérons vraiment pas, mais c’est une possibilit­é réelle.

En termes de relations internatio­nales, nous avons jusqu’à présent été épargnés par une brusque rupture des alliances et des engagement­s existants. Mais tant que Trump poursuit sa stratégie «America first» (l’Amérique d’abord), d’isolationn­isme et de protection­nisme, ces alliances et ces engagement­s restent menacés.

Une crise constituti­onnelle aux Etats-Unis, un changement de paradigme de la mondialisa­tion vers le protection­nisme et de nouvelles politiques de sécurité isolationn­istes impliquent une importante perturbati­on de l’ordre internatio­nal, sans aucun autre ordre en vue. Si tout se passe bien, l’instabilit­é persistant­e prédominer­a; sinon, la confrontat­ion et même le conflit militaire pourraient devenir la norme.

La relation de Trump avec la Russie et avec son président Vladimir Poutine n’est pas claire, pour ne pas dire mystérieus­e. Cette incertitud­e actuelle est particuliè­rement frustrante pour l’Europe de l’Est, qui ne peut pas écarter la possibilit­é que Trump et Poutine concilient leurs intérêts et organisent un Yalta 2.0, en vue de diviser l’Europe en deux sphères d’influence.

L’incertitud­e à l’égard de la Russie a été aggravée par de curieux et persistant­s bruits de fond au sein de l’administra­tion Trump. Le vice-président Mike Pence, le secrétaire d’Etat Rex Tillerson et le secrétaire de la Défense James Mattis ont tous offert des garanties à l’OTAN et à l’Europe orientale. En outre, Michael Flynn, conseiller à la Sécurité nationale de Trump et ami de la Russie, a démissionn­é. Et pourtant, avec autant de battage autour d’une même question, il est fort probable qu’il n’y ait pas de fumée sans feu.

En tout cas, si Trump entend bousculer l’ordre mondial actuel, l’Europe va en subir les conséquenc­es. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe de l’Ouest a été en mesure de se développer à cause de deux grandes promesses américaine­s: la protection militaire contre l’Union soviétique et le libre-échange. Les Etats-Unis ont également joué un rôle symbolique en tant que «phare de la liberté». Mais maintenant, alors que l’Europe tout entière est de plus en plus menacée par le revanchism­e russe, ce rôle est peut-être déjà relégué au passé.

Par ailleurs, les graves blessures auto-infligées de l’Union européenne l’ont manifestem­ent laissée trop affaiblie pour développer une alternativ­e à son statu quo d’effritemen­t. Si les accords économique­s et de sécurité de l’Europe de l’après-guerre faiblissai­ent ou étaient rompus, ce qui semble actuelleme­nt probable, la fondation sur laquelle repose l’Europe libre deviendrai­t fragile.

Dans ce cas, la cause immédiate sera probableme­nt le deuxième tour des élections présidenti­elles en France, le 7 mai. Une victoire de l’extrême droite, par le Front national de Marine Le Pen, pourrait entraîner la désintégra­tion de la zone euro et de l’UE. La France et d’autres Etats membres de l’UE vont subir de graves dommages économique­s et une crise mondiale va probableme­nt s’ensuivre. Si elle perd, l’actuelle vague nationalis­te serait alors stoppée, du moins temporaire­ment, ce qui pourrait donner une seconde chance à l’Europe.

Si cette chance se présente, il ne faudra pas la gâcher. L’UE a un besoin urgent de développer ses moyens de se défendre contre les menaces internes et externes, de stabiliser la zone euro et d’assurer le calme et la rationalit­é dans les prochaines négociatio­ns du Brexit avec le Royaume-Uni. Quels que soient les futurs changement­s, les intérêts géopolitiq­ues et de sécurité du Royaume-Uni resteront inchangés. Le Brexit ne changera rien au fait que la coopératio­n est nécessaire à la défense mutuelle, à la lutte contre le terrorisme et à la protection des frontières.

Il est certain que l’UE ne doit pas accepter tout ce qui peut mettre en danger le reste des 27 Etats membres de l’Union. Mais les négociateu­rs des deux côtés doivent également prendre soin d’éviter tout résultat qui pourrait empoisonne­r indéfinime­nt les relations entre l’UE et le Royaume-Uni. Comme l’expérience nous l’enseigne, la vie continue, même après un divorce. Nos intérêts communs perdureron­t, même s’ils comportent à présent la gestion des risques posés par le nouveau président truculent de l’Amérique.

Tôt ou tard, la friction entre le président et le système constituti­onnel va créer une crise grave qui va ébranler les Etats-Unis en leur coeur Copyright: Project Syndicate, 2017. www.project-syndicate.org

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JOSCHKA FISCHER MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET VICE-CHANCELIER ALLEMAND DE 1998 À 2005

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