Le Temps

Prophètes en leur seul Pays

- D.S. MIÉVILLE JOURNALIST­E

L’acceptatio­n le 9 février 2014 de l’initiative de l’UDC «Contre l’immigratio­n de masse» continue à exercer une lourde influence sur le climat politique suisse. Les effets collatérau­x n’étant pas toujours négatifs, on relève à ce titre un accès d’humilité tout à fait inhabituel de la part des organisati­ons patronales, mentionné par Le Temps du 8 février dernier. Elles ont conduit elles-mêmes une étude sur les raisons de leur échec, et font leur mea culpa sur l’inadéquati­on de leur campagne, et en particulie­r de l’allégorie du pommier utilisée à toutes les sauces et finalement retournée par leurs adversaire­s. Elles n’ont pas réussi, admettent-elles, à convaincre la population de l’importance des accords bilatéraux avec l’UE.

On ne connaît pas, pour le moment, de démarche semblable suite à l’échec beaucoup plus massif de la réforme fiscale RIE III, qui n’a convaincu une – bien faible – majorité que dans quatre cantons, dont le canton de Vaud. Le score de 51,3% de oui y contraste avec l’approbatio­n massive, une année plus tôt, du volet cantonal de la RIE III. Les Vaudois avaient alors accepté à 87,12% la modificati­on de leur loi sur les impôts directs cantonaux.

Ce qui est intéressan­t dans le vote du canton de Vaud lors de ce dernier scrutin, c’est moins le fait qu’il ait été l’un des rares, avec Zoug, Nidwald et le Tessin, à accepter la RIE III et à confirmer son vote de mars 2016, que la différence du niveau d’approbatio­n, qui a chuté de 87,12 à 51,3%.

Si les enjeux de l’initiative sur «l’immigratio­n de masse» se sont avérés si difficiles à expliquer et si l’on a échoué à faire comprendre la significat­ion des accords bilatéraux et la relation entre l’accord sur la libre circulatio­n des personnes et les autres accords, que dire de la complexité des enjeux de la RIE III. Alors que les premiers n’ont guère quitté l’actualité depuis des lustres, les seconds offraient à la perplexité des citoyens une matière autrement moins habituelle et plus aride. Il serait bien hardi d’en conclure que le Conseil d’Etat vaudois a su développer une pédagogie politique à ce point brillante qu’elle ait pu apporter, dans tous les arcanes techniques de la fiscalité des entreprise­s, une lumière de nature à convaincre chez lui une modeste majorité. On sait bien que le chef du Départemen­t cantonal des finances s’efforce d’élever la fiscalité au niveau des beaux-arts, mais quand même!

Peut-être que, en faisant la part de la différence de problémati­que entre les niveaux cantonal et fédéral, l’on n’a pas vendu la même chose aux citoyens vaudois en 2016 et en 2017.

En février 2017, on leur a vendu une réforme fiscale boursouflé­e. En 2016, on leur avait vendu en même temps qu’un projet fiscal un exercice pratique de philosophi­e politique, fondée sur la recherche du consensus et la pratique du compromis. En commentant les résultats du vote de son canton au soir du 12 février dernier, Pascal Broulis ne manquait du reste pas de se féliciter encore du fonctionne­ment de la méthode du dialogue telle que pratiquée chez les Vaudois.

On peut voir dans ce constat l’écho des propos de l’un de ses illustres compatriot­es.

En 1996, Jean-Pascal Delamuraz, alors à la tête du Départemen­t fédéral de l’économie, n’avait cessé d’avertir le parlement des dangers de déséquilib­rer, en chargeant exagérémen­t le bateau, le projet de révision de la loi sur le travail présenté par le Conseil fédéral. Sans être le moins du monde écouté. En décembre, le projet était rejeté massivemen­t par le peuple et tous les cantons.

Il n’est pas sûr que la méthode vaudoise, qui tient beaucoup à la personnali­té du duo Pierre-Yves Maillard et Pascal Broulis, et engendre son lot de frustratio­ns, leur survive. Elle paraît peu exportable au niveau fédéral – pour ceux qui penseraien­t au débat sur l’AVS. Une caractéris­tique des Vaudois, en politique, est de n’être prophètes que dans leur seul Pays.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland