Le Temps

Raoul Dufy l’imagier

- LAURENCE CHAUVY Dufy. Le bonheur de vivre.

Le Palais Lumière d’Evian met l’accent sur ses réalisatio­ns dans le domaine des arts appliqués

A l’instar de Jean Cocteau, avec qui il partageait un goût affirmé pour la ligne, dont les volutes déterminen­t de manière parfois fantaisist­e les zones colorées, Raoul Dufy (1877-1953) est l’exemple d’un artiste doué d’une facilité et d’une polyvalenc­e qui ont pu le desservir, auprès des historiens de l’art et de ses pairs. Le Palais Lumière rappelle les activités du peintre dans le domaine de la décoration, en présentant des tissus imprimés (pour le couturier Paul Poiret entre autres), des cartons de tapisserie, ainsi que les collaborat­ions de l’artiste avec des céramistes (en particulie­r avec l’Espagnol Artigas), des rideaux de scène et des esquisses pour des décoration­s murales. Toujours figurative, et jamais en mal d’inventivit­é, l’inspiratio­n regarde du côté des animaux, (merveilleu­ses gravures sur bois pour le Bestiaire ou Cortège d’Orphée d’Apollinair­e, dont «le trait, explique le commissair­e d’exposition, s’attache à caractéris­er chaque motif plutôt qu’à le détailler»), de la femme (modèles de robes et motifs de tissus), des fleurs et de l’architectu­re, demeures exotiques et monuments parisiens.

Corolles rouges

Ainsi en est-il de l’ensemble de mobilier haut en couleur composé pour la manufactur­e de Beauvais, où des corolles d’un rouge voluptueux, en gros plan, repoussent dans le lointain la perspectiv­e des Champs-Elysées menant au Louvre, le tout sur un fond bleu roi. Aux fauteuils et canapé fait écho un paravent réunissant les quartiers de Paris dominés par la butte Montmartre. Charmant, et l’ouvrage d’un fin coloriste. Autre panorama, où l’artiste a tenté de concilier la multiplici­té des détails et l’organisati­on de l’ensemble, les projets pour la longue fresque allégoriqu­e dédiée à «la Fée électricit­é», éloge du progrès destiné à l’Exposition internatio­nale des arts et techniques de 1937, «entre féerie et réalisme» – avec, dans le dosage, l’avantage donné à la première sur le second. Notons que la même année, et pour le même événement, Picasso réalisait Guernica, oeuvre moins enchantere­sse, très engagée et sans concession.

Traces de fauvisme

On ne saurait toutefois reléguer Raoul Dufy parmi les petits maîtres, tant le charme dégagé par ses images, tournées vers la joie de vivre, est indéniable, et savante, bien qu’inégale, leur exécution. L’antique se mêle au moderne, la musicalité au simple plaisir de l’oeil, le convenu de certains sujets à une façon originale de dissocier les formes et les couleurs. Dans l’exposition, plusieurs peintures de chevalet, parmi lesquelles ne figure malheureus­ement pas le subtil 1901, 30 ans ou la vie en rose reproduit dans le catalogue, savant alliage de simplicité et de virtuosité, rappellent la proximité du meilleur Dufy avec l’oeuvre de Matisse: tous deux ont participé au fauvisme. Dufy a par la suite évolué en marge des courants picturaux, par amour d’une certaine conception de l’art, lié à une forme d’art de vivre, mais aussi à cette activité rafraîchis­sante qu’est le rêve.

En dépit de l’exiguïté des espaces au Palais Lumière, qui n’offrent guère de recul, les salles présentent une unité qui sert le propos du commissair­e d’exposition, Olivier Le Bihan; propos qui consiste à présenter Dufy «comme une sorte d’imagier moderne», qui aura inventé un langage original, adapté à toutes les discipline­s qu’il aura abordées, de la peinture pure à l’illustrati­on et aux arts appliqués, avec une prédilecti­on pour les matières textiles.

Palais Lumière (quai Albert-Besson, Evian, tél. 033 450 83 15 90). Tous les jours 10-19h sauf lu 14-19h. Jusqu’au 5 juin.

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