Le Temps

«La justice est une cible classique»

- OSCAR MAZZOLENI PROFESSEUR DE SCIENCES POLITIQUES À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE PROPOS RECUEILLIS PAR SIMON PETITE @SimonPetit­e

Opposer justice et volonté populaire est un ressort habituel des partis populistes, analyse le politologu­e Oscar Mazzoleni. Acculé, François Fillon y recourt lui aussi

Que vous inspire cette manière d’opposer les juges et le peuple?

Que ce soit Geert Wilders aux Pays-Bas, Marine Le Pen en France, le Parti de la liberté en Autriche ou l’UDC suisse, tous ces partis souvent classés comme droite populiste utilisent ce ressort. Ces partis tendent à avoir une vision homogène du peuple et dénoncent tout ce qui pourrait entraver sa souveraine­té. La justice et les juges sont souvent une cible classique en raison du pouvoir qu’ils incarnent. Les juges sont alors présentés comme des élites qui manquent d’impartiali­té et refusent de se soumettre à la volonté populaire. Les médias sont d’ailleurs aussi dans le viseur. Il n’y a qu’à voir les attaques récurrente­s contre le quatrième pouvoir de la part du président américain, Donald Trump.

Mais François Fillon n’est pourtant pas classé comme «populiste», contrairem­ent à la candidate du FN, Marine Le Pen?

Non. Mais la question judiciaire est devenue si omniprésen­te dans cette campagne que tous les candidats sont obligés de se positionne­r sur cet enjeu. Pour François Fillon, c’est sa dernière ligne de défense. Mais il rejoint ainsi la posture de Marine Le Pen, qui disqualifi­e les juges comme empêchant les Français d’élire les dirigeants de leur choix. Contrairem­ent à François Fillon, la présidente du FN ne se rendra pas à la convocatio­n de la justice. C’est une position assumée, qui vise à dénoncer la partialité du pouvoir judiciaire, à le présenter comme partie prenante de la campagne.

La justice française est en position d’arbitre de la présidenti­elle. Il y a de quoi s’interroger, non?

C’est une situation difficile: si les juges n’agissent pas et attendent les résultats, on leur reprochera aussi leur politisati­on.

En Suisse, le débat entre les pouvoirs de la loi et du peuple est-il toujours aussi vif?

En février 2016, l’UDC a enregistré une défaite sur sa deuxième initiative pour le renvoi des étrangers criminels. Ce parti plaidait pour que ce renvoi soit automatiqu­e, déniant ainsi toute marge d’appréciati­on des juges. Et cela, d’abord, pour affirmer la primauté des choix du peuple envers tout pouvoir institué, y compris le pouvoir judiciaire. Ce débat va revenir sur le devant de la scène, avec l’initiative contre les juges étrangers déposée l’été dernier.

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