Le Tribunal fédéral fait sauter le tabou des données volées
Le Tribunal fédéral contredit le Tribunal administratif fédéral, qui voulait refuser l’entraide dans un cas concernant UBS en France. Le mur érigé par la Suisse contre l’utilisation de données volées dans l’entraide fiscale se lézarde
Les Etats étrangers pourront demander l’entraide de la Suisse sur la base de noms subtilisés dans les banques. L’une des dernières digues qui protégeaient les évadés fiscaux vole en éclats
C’est peu dire que la décision était très attendue. Depuis des mois, fonctionnaires et avocats guettaient le verdict des juges du Tribunal fédéral dans un domaine crucial: la coopération de la Suisse dans les enquêtes fiscales étrangères reposant sur des données volées au sein même des banques.
En 2015, une instance inférieure, le Tribunal administratif fédéral (TAF), avait interdit la transmission à la France d’informations sur un client d’UBS dont le nom avait été dérobé par d’anciens employés français. Mais hier, le Tribunal fédéral a sèchement cassé cette décision. L’entraide avec la France est recevable, pourvu que les données n’aient pas été volées en Suisse (elles se trouvaient dans la filiale d’UBS dans l’Hexagone).
Deux éléments frappent dans ce jugement. La Suisse a toujours été très réticente à accepter l’utilisation de données volées par des Etats étrangers; celle-ci entre désormais dans la pratique normale. Ensuite, la mésentente entre le Tribunal fédéral et la juridiction inférieure, le TAF, éclate de façon spectaculaire.
«La contradiction est totale, c’est assez incroyable», relève un connaisseur. Plus politiques, les juges de Mon-Repos confirment ainsi leur proximité avec l’administration fédérale, qui avait validé l’entraide avec la France.
Renversement de la pratique en matière d’entraide internationale. La Suisse peut accorder son entraide au fisc français dans une affaire de données dérobées à UBS France. Le Tribunal fédéral (TF) a donné son feu vert à l’Administration fédérale des contributions (AFC).
Dans un arrêt daté du 16 février mais rendu public lundi, la cour suprême enterre partiellement une ancienne pratique suisse, assouplie en juin dernier, qui interdisait toute coopération fiscale avec des Etats étrangers en cas de données volées. L’arrêt du TF représente une nouveauté, en postulant que les autorités étrangères sont de bonne foi lorsqu’elles utilisent des données volées.
Les juges de Mon-Repos cassent ainsi une précédente décision du Tribunal administratif fédéral (TAF) dans ce dossier. En 2015, le TAF avait donné raison à un contribuable français qui contestait le transfert de données vers la France. L’entraide basée sur des données volées violait le principe de bonne foi et donc la loi suisse sur l’assistance administrative, avait affirmé la cour. L’Administration fédérale des contributions, compétente pour exécuter l’entraide, avait ensuite porté l’affaire devant le Tribunal fédéral.
Présomption de bonne foi
L’avocat Xavier Oberson, qui défend ce contribuable français, s’étonne que le Tribunal fédéral n’ait pas examiné la question de la bonne foi comme l’avait fait le TAF. «D’après la convention de double imposition entre la France et la Suisse, le fait de demander des informations en se fondant sur des données volées est contraire au principe de bonne foi en droit fiscal international, dit-il. Or, ici, le Tribunal fédéral estime qu’il y a une présomption de bonne foi. Mais si on va trop loin dans cette logique, il ne sera jamais possible d’imaginer la mauvaise foi de l’Etat requérant.»
«Cela fait des mois qu’on attendait impatiemment cet arrêt, il est clairement important», note Héloïse Rordorf, de l’étude Lalive à Genève. Les conséquences de cette décision sont considérables, reprend Xavier Oberson: «Elle ouvre les portes à des requêtes basées sur des données volées.» En pratique, il sera impossible de démontrer la mauvaise foi dans les cas où les données bancaires ont été volées hors de Suisse, assure le spécialiste des questions fiscales internationales.
Le rôle de Stéphanie Gibaud
Selon nos informations, les données prises à UBS France ont été transmises aux autorités françaises par Stéphanie Gibaud, une ex-employée qui avait dénoncé des pratiques d’évasion fiscale organisée au sein de cette filiale.
Cette ancienne responsable du marketing était chargée d’organiser des événements mondains, culturels et sportifs au cours desquels la banque démarchait des clients, dont les fonds étaient ensuite transférés en Suisse. Stéphanie Gibaud est en conflit avec UBS depuis des années. Ses révélations sont en partie à l’origine des procédures pénales visant la grande banque suisse en France.
Sur la base des données subtilisées, la Direction générale des finances publiques française a adressé à l’AFC deux demandes d’entraide, en 2012 et 2013. Quelque 600 noms de clients et d’éventuels futurs clients d’UBS France figureraient sur les listes transmises aux autorités françaises.
Le TF contredit le TAF
Le Tribunal fédéral juge ainsi que la convention de double imposition entre la France et la Suisse ne s’oppose pas à l’assistance administrative. Il considère que la demande administrative déposée par la France «ne repose pas sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse». Contactée, UBS n’a aucun commentaire à faire, n’étant pas partie dans cette affaire.
L’arrêt est par ailleurs important pour l’administration fédérale, notamment parce que le TF «contredit très sèchement et très directement le TAF», beaucoup plus restrictif en matière d’entraide fiscale, indique une source qui connaît le dossier.
«Dans 99% des cas, le TF donne raison à l’administration, alors que l’approche du TAF est totalement différente, ajoute cet interlocuteur. La contradiction entre les deux instances est d’ailleurs assez incroyable.»
Plus de 66 500 demandes d’entraide en 2016
Les procédures d’entraide avec la France en lien avec UBS ne se limitent pas aux noms figurant sur cette liste, rappelle l’agence de presse ATS. En mai 2016, le fisc français avait adressé à l’AFC une demande d’assistance concernant plusieurs dizaines de milliers de numéros de clients de la banque dotés d’un code de domicile correspondant à celui de la France. L’administration française avait alors agi sur la base de données saisies chez UBS Allemagne, à Francfort.
Les demandes d’entraide fiscale adressées à la Suisse ont littéralement explosé l’an dernier. La Suisse a reçu 66553 demandes d’entraide administrative. La plupart venaient de France, d’Espagne, de Pologne, de Suède et des Pays-Bas. Fait notable: les EtatsUnis ne figurent plus dans le «top 5».
▅ Arrêt 2C_893/2015 du 16 février 2017