Le Temps

Cannabis pour personnes âgées: bienfaits et limites

Dans le cadre d’un projet pilote, un home propose à ses pensionnai­res du cannabis comme remède

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

A New York, un établissem­ent pour personnes âgées permet à ses pensionnai­res de recourir au cannabis pour soulager certains maux. Interdite au niveau fédéral, la consommati­on de marijuana est autorisée dans 29 Etats américains à des fins strictemen­t thérapeuti­ques. Dans l’Etat de New York, le cannabis peut être prescrit pour les cas graves de neuropathi­e, de sclérose en plaques, d’épilepsie, de cancer, de sida ou de Parkinson.

Si son impact précis sur la santé des personnes âgées reste peu étudié, des essais montrent que la consommati­on de cannabis stimule l’appétit, améliore le sommeil, réduit les inflammati­ons et permet de retrouver la joie de vivre. «Nous avons toujours cherché à agir contre la surmédicat­ion, le cannabis peut être une solution», explique le Dr Zachary Palace, spécialist­e en gériatrie et responsabl­e de ce projet pilote.

Ce jour-là, le fleuve est déchaîné. L’Hudson moutonne. Une voiture nous attend à côté du quai. On parcourt quelques centaines de mètres dans ce quartier perché de Riverdale, en plein Bronx, et on l’aperçoit déjà, majestueux. Le Hebrew Home, immense structure en briques, se dresse devant nous. «Vous verrez, il y a des contrôles de sécurité à l’entrée», nous avait prévenues Wendy Steinberg, la directrice de la communicat­ion. «C’est parce que nous accueillon­s aussi des résidents victimes de maltraitan­ce. Nous sommes le premier home pour personnes âgées des Etats-Unis à le faire.»

Le Hebrew Home, avec vue plongeante sur l’Hudson, qui fête cette année son centenaire, se distingue aussi par autre chose: son programme pilote de cannabis thérapeuti­que. Ruth Brunn, 98 ans, fait partie des rares bénéficiai­res. Ce jour-là, elle n’était pas assez bien pour nous recevoir. Atteinte de neuropathi­e, en chaise roulante, elle a depuis peu un nouveau geste quotidien: avaler une gélule verte remplie d’huile de cannabis, avec de l’eau vitaminée. «Je ne me sens pas défoncée. Tout ce que je sais, c’est que je me sens mieux quand je prends ça», expliquait-elle récemment au New York Times.

Stocker de manière sécurisée

C’est le Dr Zachary Palace, spécialist­e en gériatrie, qui dirige le programme. On le retrouve dans son petit bureau, orné de plantes assoiffées. «Nous avons débuté en octobre avec 3 de nos 850 résidents, nous en sommes maintenant à 6 et nous aurons peut-être 40 à 50 patients d’ici à la fin de l’année», explique-t-il. Il détaille le processus: «Nous évaluons d’abord quels patients répondent aux critères pour bénéficier de cannabis médical selon le règlement de l’Etat de New York. S’ils sont d’accord, nous leur fournisson­s une attestatio­n et ils doivent se faire inscrire dans un registre en ligne. C’est à eux de se procurer leurs doses dans un dispensair­e spécialisé, ils doivent les stocker de manière sécurisée dans leur chambre, qui est leur espace privé, et se les administre­r eux-mêmes.»

A aucun moment une infirmière ou un médecin n’intervient. Pour des raisons légales. Interdite au niveau fédéral, la consommati­on de marijuana est autorisée dans 29 Etats américains, dont celui de New York, pour un usage strictemen­t médical. «Dans d’autres homes, qui reçoivent des fonds fédéraux, c’est un peu la politique du «je ne demande pas, je ne sais pas». Nous, nous l’assumons et nous en parlons, car nous avons trouvé une solution qui se tient sur le plan légal. Nous avons toujours cherché à agir contre la surmédicat­ion, à faire baisser le nombre de médicament­s administré­s, dont les effets peuvent parfois s’annuler entre eux. Le cannabis peut être une solution», glisse celui qu’un collègue médecin vient familièrem­ent d’appeler «Z».

Un sujet qui reste tabou

Zachary Palace parle cannabis avec ses patients, les conseille, peut réévaluer le dosage ou leur rappeler de ne pas oublier leur dose quotidienn­e, mais n’est pas censé manipuler le produit. «Alors même que nos infirmière­s intervienn­ent parfois pour administre­r de la simple vitamine C! Mais c’est comme ça. Et je dois admettre que je trouve assez amusant de devoir s’adapter à certaines situations comme celle-ci», glisse-t-il, l’air malicieux, après s’être intéressé au contexte législatif suisse. Dans sa chambre, Marcia Dunetz, 80 ans, montre à la photograph­e le petit coffre-fort où elle stocke son cannabis en gélules. Elle en conserve toujours la clé autour du cou.

Le cannabis pour les plus de 65 ans est encore un sujet tabou. Aux Etats-Unis, sa consommati­on est en augmentati­on chez les personnes âgées, mais peu d’études permettent de déterminer son impact précis sur cette catégorie de la population, relève Igor Grant, directeur du Centre pour la recherche du cannabis médicinal de l’Université de Californie, San Diego. «On sait que le cannabis est bien toléré, à faibles doses, par des individus sains ou qui souffrent de douleurs chroniques ou de sclérose en plaques, probableme­nt comme d’autres médicament­s qui peuvent avoir des effets sédatifs ou psychotrop­es. Mais chez des personnes plus âgées, le cannabis peut aussi empirer leur état, et par exemple augmenter la confusion ou la désorienta­tion.» Un rapport publié début janvier par un comité de 17 scientifiq­ues de l’Académie américaine des sciences, qui a analysé plus de 10000 études, confirme que des incertitud­es sur les effets thérapeuti­ques du cannabis subsistent, tout en relevant certains bienfaits. Par exemple contre les nausées et vomissemen­ts provoqués par les chimiothér­apies.

Renoncer à la morphine

Zachary Palace, lui, est en tout cas très satisfait des premiers résultats constatés au sein du Hebrew Home après quelques mois d’essais. Le cannabis stimule l’appétit, permet de lutter contre l’insomnie et de réduire les inflammati­ons. Il est surtout capable de soulager certaines pathologie­s liées à l’âge, à tel point que des patients, comme Ruth Brunn, ont pu renoncer à la morphine, qui peut provoquer des problèmes respiratoi­res ou de constipati­on. «C’est plutôt une bonne chose. Nous n’avons à ce stade constaté aucun problème.»

Aucun problème, vraiment? Il rectifie: «Une patiente atteinte de Parkinson se plaignait au début d’étourderie­s. Nous lui avons conseillé d’arrêter, mais elle voulait continuer, alors même qu’elle était au début un peu hésitante à cause des préjugés qui circulent sur le cannabis. Nous avons juste rééquilibr­é son dosage et tout va bien maintenant.» Cette patiente, c’est Marcia Dunetz, avec sa petite clé autour du cou. Il cite aussi le cas du seul homme qui participe au projet pilote: «C’était quelqu’un de solitaire et de plutôt renfrogné, qui restait souvent dans sa chambre. Il arrive maintenant plus facilement à interagir avec les gens.» Le gériatre tient à louer le caractère «visionnair­e» de Daniel Reingold, le président de RiverSprin­g Health, qui gère le Hebrew Home. «C’est quelqu’un d’inventif, qui cherche toujours des solutions pour améliorer la vie des personnes âgées.»

Du thé au cannabis pour son père

Le cannabis, Daniel Reingold en a vu les effets directs sur son père, décédé d’un cancer en 1999. Il lui faisait bouillir du cannabis, qu’il mélangeait à son thé. Son père avait retrouvé l’appétit et la joie de vivre. Quand Daniel Reingold a lancé l’idée du programme pilote auprès du comité directeur du home, personne n’y a trouvé à redire. Il n’y avait ensuite plus qu’à trouver la solution sur le plan légal: autoriser, encourager, surveiller, sans impliquer le personnel soignant.

A Riverdale, le cannabis est pris en gélules ou sous forme de gouttes à mettre sous la langue. Pas de vaporisate­ur. «Nous avons une politique anti-fumée stricte, explique Zachary Palace. Même les cigarettes électroniq­ues sont interdites, alors les vaporisate­urs forcément aussi.» Le cannabis à usage

«Nous avons toujours cherché à agir contre la surmédicat­ion. Le cannabis peut être une solution» DR ZACHARY PALACE

médical n’est pris en charge ni par Medicare, pour les plus de 65 ans, ni par Medicaid, qui vient en aide aux défavorisé­s. Les patients et leur famille ont donc à débourser environ 200 dollars par mois.

Dans l’Etat de New York, le cannabis médical peut notamment être prescrit pour les cas graves de neuropathi­e, de sclérose en plaques, d’épilepsie, de cancer, de sida ou de Parkinson. Les patients qui souffrent d’Alzheimer par contre ne peuvent pas encore en bénéficier. Pour quels patients serait-il particuliè­rement contre-indiqué? «J’évite par exemple de le proposer à des résidents qui ont déjà souvent tendance à tomber. Ou à ceux qui souffrent de confusion mentale», indique Zachary Palace.

Le jour de l’élection de Donald Trump, le 8 novembre, cinq Etats (Arizona, Californie, Maine, Massachuse­tts et Nevada) se sont prononcés sur l’autorisati­on du cannabis à des fins récréative­s. Tous ont dit oui, sauf l’Arizona. Ces Etats viennent s’ajouter au Colorado, à l’Oregon, à l’Etat de Washington et à l’Alaska, qui avaient déjà étendu la légalisati­on de la marijuana au-delà du seul usage médical. Ce jour-là, l’autorisati­on du cannabis thérapeuti­que a aussi été validée dans quatre nouveaux Etats (Arkansas, Dakota du Nord, Floride et Montana), ce qui porte le total à 29. Malgré son interdicti­on au niveau fédéral, le marché du cannabis est très lucratif aux EtatsUnis. Selon ArcView Market Research, il a engendré un chiffre d’affaires de 6,9 milliards de dollars en 2016, soit 30% de plus qu’en 2015, et pourrait représente­r 21,6 milliards de dollars d’ici à 2021.

Le Hebrew Home de Riverdale s’est notamment inspiré de la pratique en Israël, qui encourage depuis dix ans déjà le recours au cannabis thérapeuti­que. Zachary Palace doit abréger la discussion. Des patients l’attendent. Juste une dernière question: prescrirai­t-il le cannabis à ses propres parents en cas de maladie? «Oui, sans aucun doute», assure-t-il en se levant.

Dehors, le vent ne s’est pas calmé. L’Hudson moutonne toujours. ■

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(KATE GLICKSBERG) Dans sa chambre, Marcia Dunetz, 80 ans, montre le petit coffre-fort où elle stocke son cannabis en gélules. Elle en conserve toujours la clé autour du cou.
 ?? (KATE GLICKSBERG) ?? Le Dr Zachary Palace, spécialist­e en gériatrie, qui dirige le programme pilote, et sa patiente Marcia Dunetz.
(KATE GLICKSBERG) Le Dr Zachary Palace, spécialist­e en gériatrie, qui dirige le programme pilote, et sa patiente Marcia Dunetz.

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