Le Temps

50 micro-satellites mettent le cap sur la mystérieus­e ignorosphè­re

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Une flotte de cinquante micro-satellites construits par des étudiants va quadriller le ciel durant un an. L’objectif: explorer les couches encore inconnues de notre atmosphère

L’ignorosphè­re. Voilà comment est parfois surnommée cette couche de l’atmosphère située entre 50 et 300 kilomètres au-dessus de nos têtes. Comme son nom le laisse entendre, on ne sait rien ou presque de ce qui s’y passe. Les avions ne peuvent y voler. Les ballons ne peuvent y flotter. Et les satellites ne peuvent s’y maintenir bien longtemps. Si bien que les mesures et les données manquent cruellemen­t aux scientifiq­ues. Pourtant, la connaissan­ce des phénomènes physico-chimiques qui se déroulent dans ce no man’s land éthéré aurait des implicatio­ns concrètes, avec des satellites restant plus longtemps en orbite ou des modèles climatique­s plus précis. C’est donc avec pour objectif de combler ces lacunes qu’un projet internatio­nal, nommé QB50, doit prochainem­ent mettre en orbite, à partir de la Station spatiale internatio­nale (ISS), un réseau de cinquante micro-satellites (ou CubeSats) fabriqués par des étudiants de 16 pays et dédiés à l’étude de ce royaume gazeux inconnu.

L’ignorosphè­re est composée de deux couches atmosphéri­ques bien différente­s. La plus basse, la mésosphère, est un milieu très froid (jusqu’à –100 °C) ou l’air est raréfié (sa densité est divisée par mille par rapport à celle régnant au niveau de la mer). La plus haute, la thermosphè­re, est bien plus chaude: les rayons UV réfléchis par la mésosphère chauffent voire ionisent les gaz, ce qui fait grimper la températur­e jusqu’à plusieurs centaines, voire milliers de degrés. C’est sur cette dernière que vont se concentrer les efforts des CubeSats de la mission QB-50.

A de telles altitudes, la navigation se complique énormément. Les ballons scientifiq­ues ne peuvent flotter, l’air étant trop rare… mais trop présent pour y envoyer d’onéreux satellites, qui perdraient de l’altitude beaucoup trop rapidement et finiraient par se désintégre­r. «Notre idée est donc d’envoyer des CubeSats pour aller là où les autres appareils ne peuvent se rendre», explique Davide Masutti, responsabl­e du projet QB50 et ingénieur en aérospatia­le à l’Institut von Karman de dynamique des fluides, à Rhode-Saint-Genèse (à côté de Bruxelles).

Ces petits satellites, dont certains ne sont pas plus gros qu’une boîte à chaussures, offrent de multiples avantages. Plus légers (quelques kilos), ils coûtent environ 100 fois moins cher à expédier que leurs homologues habituels. Autrement dit, pour la moitié du coût d’un seul satellite, on peut mettre en orbite 50 CubeSats connectés en réseau. Et cela change la donne, assure Davide Masutti: «Les mesures de la thermosphè­re dont nous disposons jusqu’à présent correspond­ent à des zones ponctuelle­s, sur une période de quelques minutes. Avec 50 satellites qui quadrillen­t toute l’atmosphère, nous aurons une résolution spatio-temporelle inédite», autrement dit une analyse globale du comporteme­nt de la thermosphè­re sur une période de plusieurs mois.

Mission suicide

Les CubeSats, qui doivent rejoindre l’ISS en mars à bord d’un cargo de ravitaille­ment, seront lancés dans le vide spatial par un bras robotisé, avant d’entamer une descente en spirale autour de la Terre durant plusieurs mois. A leur bord, les mesures seront effectuées grâce à différents capteurs, dédiés par exemple à l’analyse de la compositio­n chimique de l’atmosphère ou à la mesure du nombre d’électrons libres qui s’y trouvent. Les données enregistré­es seront transmises au sol avant que tous les CubeSats se désintègre­nt dans les cieux au terme de leur mission suicide. Tous sauf un, qui, équipé d’un bouclier thermique, reviendra sain et sauf sur Terre, ramenant avec lui les données des altitudes inférieure­s.

Que feront les physiciens avec toutes ces informatio­ns? Ils s’en serviront pour nourrir de nouveaux modèles physiques, affirme Davide Masutti. Par exemple pour déterminer la réaction de la thermosphè­re, que l’on sait fluctuer lors des variations d’activité solaire. Mais loin de se limiter à la science fondamenta­le, le projet QB50 a des applicatio­ns très concrètes. Une meilleure prévision de la densité de l’air de la thermosphè­re, dont l’augmentati­on fait dégringole­r les satellites, aiderait par exemple les agences spatiales à optimiser leurs manoeuvres, afin de maximiser leur durée de vie.

«L’ionisation des gaz perturbe les ondes radio et fausse le positionne­ment donné par les satellites GPS. En connaissan­t mieux ce phénomène, on pourrait «nettoyer» le signal et améliorer la précision de ces derniers», prédit Thierry Dudok de Wit, du Laboratoir­e de physique et chimie de l’environnem­ent et de l’espace, à Orléans.

Mais pour ce spécialist­e, qui ne participe pas à QB50, l’intérêt de ce projet est peut-être ailleurs. «QB50 n’est pas une mission low cost, elle répond à un besoin que l’on ne peut satisfaire avec des satellites plus grands. En occupant ce nouveau type de niche, elle suggère que nous sommes à une période charnière des missions spatiales.» Le physicien fait le pari que bientôt, des satellites miniatures participer­ont à des missions planétaire­s, pourquoi pas autour de Mars. ▅

La connaissan­ce des phénomènes physico-chimiques qui se déroulent dans ce no man’s land éthéré aurait des implicatio­ns concrètes

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(NASA) Cinquante micro-satellites de la taille d’une boîte à chaussures exploreron­t une couche très peu connue de l’atmosphère.

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