50 micro-satellites mettent le cap sur la mystérieuse ignorosphère
Une flotte de cinquante micro-satellites construits par des étudiants va quadriller le ciel durant un an. L’objectif: explorer les couches encore inconnues de notre atmosphère
L’ignorosphère. Voilà comment est parfois surnommée cette couche de l’atmosphère située entre 50 et 300 kilomètres au-dessus de nos têtes. Comme son nom le laisse entendre, on ne sait rien ou presque de ce qui s’y passe. Les avions ne peuvent y voler. Les ballons ne peuvent y flotter. Et les satellites ne peuvent s’y maintenir bien longtemps. Si bien que les mesures et les données manquent cruellement aux scientifiques. Pourtant, la connaissance des phénomènes physico-chimiques qui se déroulent dans ce no man’s land éthéré aurait des implications concrètes, avec des satellites restant plus longtemps en orbite ou des modèles climatiques plus précis. C’est donc avec pour objectif de combler ces lacunes qu’un projet international, nommé QB50, doit prochainement mettre en orbite, à partir de la Station spatiale internationale (ISS), un réseau de cinquante micro-satellites (ou CubeSats) fabriqués par des étudiants de 16 pays et dédiés à l’étude de ce royaume gazeux inconnu.
L’ignorosphère est composée de deux couches atmosphériques bien différentes. La plus basse, la mésosphère, est un milieu très froid (jusqu’à –100 °C) ou l’air est raréfié (sa densité est divisée par mille par rapport à celle régnant au niveau de la mer). La plus haute, la thermosphère, est bien plus chaude: les rayons UV réfléchis par la mésosphère chauffent voire ionisent les gaz, ce qui fait grimper la température jusqu’à plusieurs centaines, voire milliers de degrés. C’est sur cette dernière que vont se concentrer les efforts des CubeSats de la mission QB-50.
A de telles altitudes, la navigation se complique énormément. Les ballons scientifiques ne peuvent flotter, l’air étant trop rare… mais trop présent pour y envoyer d’onéreux satellites, qui perdraient de l’altitude beaucoup trop rapidement et finiraient par se désintégrer. «Notre idée est donc d’envoyer des CubeSats pour aller là où les autres appareils ne peuvent se rendre», explique Davide Masutti, responsable du projet QB50 et ingénieur en aérospatiale à l’Institut von Karman de dynamique des fluides, à Rhode-Saint-Genèse (à côté de Bruxelles).
Ces petits satellites, dont certains ne sont pas plus gros qu’une boîte à chaussures, offrent de multiples avantages. Plus légers (quelques kilos), ils coûtent environ 100 fois moins cher à expédier que leurs homologues habituels. Autrement dit, pour la moitié du coût d’un seul satellite, on peut mettre en orbite 50 CubeSats connectés en réseau. Et cela change la donne, assure Davide Masutti: «Les mesures de la thermosphère dont nous disposons jusqu’à présent correspondent à des zones ponctuelles, sur une période de quelques minutes. Avec 50 satellites qui quadrillent toute l’atmosphère, nous aurons une résolution spatio-temporelle inédite», autrement dit une analyse globale du comportement de la thermosphère sur une période de plusieurs mois.
Mission suicide
Les CubeSats, qui doivent rejoindre l’ISS en mars à bord d’un cargo de ravitaillement, seront lancés dans le vide spatial par un bras robotisé, avant d’entamer une descente en spirale autour de la Terre durant plusieurs mois. A leur bord, les mesures seront effectuées grâce à différents capteurs, dédiés par exemple à l’analyse de la composition chimique de l’atmosphère ou à la mesure du nombre d’électrons libres qui s’y trouvent. Les données enregistrées seront transmises au sol avant que tous les CubeSats se désintègrent dans les cieux au terme de leur mission suicide. Tous sauf un, qui, équipé d’un bouclier thermique, reviendra sain et sauf sur Terre, ramenant avec lui les données des altitudes inférieures.
Que feront les physiciens avec toutes ces informations? Ils s’en serviront pour nourrir de nouveaux modèles physiques, affirme Davide Masutti. Par exemple pour déterminer la réaction de la thermosphère, que l’on sait fluctuer lors des variations d’activité solaire. Mais loin de se limiter à la science fondamentale, le projet QB50 a des applications très concrètes. Une meilleure prévision de la densité de l’air de la thermosphère, dont l’augmentation fait dégringoler les satellites, aiderait par exemple les agences spatiales à optimiser leurs manoeuvres, afin de maximiser leur durée de vie.
«L’ionisation des gaz perturbe les ondes radio et fausse le positionnement donné par les satellites GPS. En connaissant mieux ce phénomène, on pourrait «nettoyer» le signal et améliorer la précision de ces derniers», prédit Thierry Dudok de Wit, du Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace, à Orléans.
Mais pour ce spécialiste, qui ne participe pas à QB50, l’intérêt de ce projet est peut-être ailleurs. «QB50 n’est pas une mission low cost, elle répond à un besoin que l’on ne peut satisfaire avec des satellites plus grands. En occupant ce nouveau type de niche, elle suggère que nous sommes à une période charnière des missions spatiales.» Le physicien fait le pari que bientôt, des satellites miniatures participeront à des missions planétaires, pourquoi pas autour de Mars. ▅
La connaissance des phénomènes physico-chimiques qui se déroulent dans ce no man’s land éthéré aurait des implications concrètes