«Groupes de la mort», terreur sur les réseaux
Culte du suicide ou légende urbaine? Des «groupes de la mort» invitant à l’autodestruction volontaire sur le Facebook russe sèment la panique
Depuis quelque temps, des communautés manipulent les enfants et les adolescents sur les réseaux sociaux russes, en les poussant peu à peu au suicide. Les parents sont terrifiés. Mais qui se cache derrière ce phénomène, qui essaime désormais jusqu’en France?
Une rumeur enfle parmi les parents russes: on pousse leurs enfants au suicide par le biais du «Blue Whale Challenge» (le défi de la baleine bleue). «On», ce sont de mystérieux individus envoyant des invitations à la mort volontaire à travers les deux réseaux sociaux les plus populaires en Russie: vk.com et Instagram. Un avertissement formel s’est alors répandu comme une traînée de poudre sur ces réseaux: «Chers parents, tous les parents doivent absolument être avertis que ce dimanche, le groupe Baleine prépare l’organisation d’un suicide collectif (5000 personnes). Ne perdez pas de vue vos enfants une seule seconde!»
Les nerfs de beaucoup de parents ont lâché: «Quand va se terminer ce cauchemar?» s’affolait samedi Andreï K, père de cinq enfants. «Les écoles et les parents sont en pleine panique et nos forces de l’ordre ne bougent pas», expliquet-il au Temps. «Qu’ils ferment donc ce vk.com, s’ils sont incapables d’agir!» Surtout que le phénomène essaime maintenant jusqu’en France, comme vient de le rappeler une mise en garde de la @PoliceNationale sur Twitter. Depuis plusieurs mois, on ne parle que de ces «groupes de la mort» sur l’équivalent russe de Facebook, où les adolescents sont invités à participer à une série de défis de plus en plus morbides, qui débouchent sur un saut mortel.
Tout est parti du suicide présumé en novembre 2015 de Rina Palenkova, une jeune fille vivant dans l’Extrême-Orient russe. Un culte mi-ironique, mi-morbide, typique de la sous-culture adolescente, s’est développé autour des photos de son cadavre gisant sur les rails. Les photos de Rina circulent sur vk.com, accompagnées de codes oniriques piochés sur son profil: «Réveille-moi à 4h20»; «mer de baleines»; «baleine bleue»; «maison calme», etc. L’allusion au cétacé étant due au fait que les baleines en fin de vie, paraît-il, s’échouent volontairement.
De nombreux médias ont contribué à faire tourner le moulin à rumeurs, et la machine s’est véritablement emballée lorsque la télévision s’en est emparée. «Vingt mille mineurs candidats au suicide rien qu’à Moscou», rapportait la chaîne REN en août dernier. Des dirigeants politiques ont apporté de l’eau au moulin par des déclarations alarmistes. «Il existe aujourd’hui un projet visant l’extinction de notre nation. Il consiste à forcer nos enfants à se suicider», a déclaré le gouverneur de la région d’Oulianovsk le 8 mars.
Reste que l’identité et les motivations de ces incitateurs restent mystérieuses. Jusqu’ici, la police n’a identifié que deux individus: un jeune adulte et une gamine de 13 ans. Or, les messages continuent de circuler sur vk.com, malgré les efforts du réseau pour fermer les groupes sur ce thème. Le caractère virtuel et anonyme de la menace engendre à son tour des rumeurs tordues. Sur fond de conflit militaire avec l’Ukraine, certains accusent déjà «les nationalistes ukrainiens» ou une «guerre hybride menée contre la Russie». D’autres imaginent une «expérimentation sociale menée par le gouvernement pour vérifier jusqu’à quel point l’opinion publique est manipulable». Beaucoup, enfin, s’inquiètent que la panique soit utilisée comme prétexte pour censurer davantage Internet.
La rumeur de vendredi sur les «5000 suicides» s’est avérée être un bobard démenti par la police. Mais sous cette fumée paranoïaque couve la braise. La Russie détient depuis une décennie le record mondial peu enviable du plus haut taux de suicide chez les mineurs. Dans un pays où la propagande se substitue chaque jour davantage à l’information, l’hystérie créée autour des «groupes de la mort» détourne l’attention des véritables raisons du mal existentiel dont souffrent nombre de jeunes Russes.
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