Le Temps

Comment les électeurs valaisans pourraient déplacer des montagnes

-

Les Valaisanne­s et les Valaisans offriront-ils à la Suisse romande la victoire «DSI» tant attendue? Les Suisses alémanique­s se réfèrent à cette victoire «DSI» en référence à la votation populaire contre l’initiative de mise en oeuvre du projet d’expulsion des étrangers criminels (Durchsetzu­ngsinitiat­ive en allemand, DSI). Attaquant de front l’Etat de droit et le travail du parlement fédéral, l’initiative avait été renvoyée aux oubliettes par une large majorité de citoyens en février 2016. Depuis, cette victoire DSI a déployé de nombreux effets sur les rapports de forces politiques alémanique­s. Elle a confirmé l’importance de plusieurs acteurs de la société civile dans le travail de mobilisati­on, à l’exemple du mouvement Operation Libero et de l’action Appel urgent.

La campagne DSI a également démontré le potentiel du financemen­t participat­if politique. En récoltant près de 1,2 million de francs à travers tout le pays, l’Appel urgent a permis une vaste campagne d’affichage là où l’UDC et ses moyens financiers énormes régnaient en maîtres. Mais plus important encore, la victoire DSI a libéré des forces constructi­ves et progressis­tes autrefois tétanisées. Exit le fatalisme qui accompagna­it trop souvent les scrutins sur les étrangers, l’asile ou la sécurité; une nouvelle dynamique de la mobilisati­on a vu le jour, se confirmant avec la loi sur l’asile (juin 2016) et la naturalisa­tion facilitée (février 2017).

En coupant la voie à Oskar Freysinger dans sa course au Conseil d’Etat, les Valaisanne­s et les Valaisans peuvent offrir à la Suisse romande sa votation DSI. Sur la méthode de campagne tout d’abord, le succès du premier financemen­t participat­if politique a profilé un nouvel instrument de levée de fonds et de mobilisati­on. Les quelque 42000 francs de crowdfundi­ng de la campagne cantonale «Coupons-lui la voie» équivalent peu ou prou au 1,2 million de la campagne nationale sur l’initiative de mise en oeuvre (au prorata de la population). Comme dans le cas de la DSI, cette campagne et la manifestat­ion organisée à Sion ont joué un rôle de déclencheu­r. Les structures politiques traditionn­elles ont ensuite pu renforcer cette dynamique et mettre en avant leurs projets et leurs idées. Apparaît alors une nouvelle forme de division du travail entre mouvements ponctuels et acteurs établis, entre groupement­s thématique­s et organisati­ons partisanes.

Sur le fond, les Valaisanne­s et les Valaisans peuvent transforme­r l’essai et lui conférer la portée régionale et nationale qu’il mérite. Oskar Freysinger n’est pas seulement un conseiller d’Etat dénoncé pour de graves manquement­s dans la gestion de son départemen­t; il s’est lui-même profilé comme le symbole d’une certaine manière de concevoir notre pays et de faire de la politique. De l’initiative pour l’interdicti­on des minarets à l’affaire «San Giorgio», il a systématiq­uement créé du capital politique en attisant la haine de l’autre, en s’attaquant aux libertés des minorités, en faisant l’apologie d’une Suisse recroquevi­llée sur elle-même, mise en danger par un extérieur nécessaire­ment menaçant.

Oskar Freysinger ne représente de loin pas l’entier de son parti. En effet, ils sont peu nombreux à reconnaîtr­e en Vladimir Poutine et Donald Trump des leaders d’un monde plus libre. De même, seule une petite minorité aime parcourir les conférence­s de l’extrême droite européenne. A l’inverse, le nombre de sympathisa­nts mal à l’aise avec l’escalade vers des initiative­s toujours plus extrêmes va croissant.

Le vote valaisan est une occasion unique de signifier le rejet du symbole Freysinger et (aussi) de renforcer la ligne «pragmatiqu­e» de l’UDC. Trop longtemps passives et désorganis­ées, les forces politiques constructi­ves avaient pris l’habitude de regarder béatement la machine à gagner. Mais l’initiative a changé de camp; la confiance et la grinta peuvent déplacer des montagnes. La victoire DSI romande est à portée.

Oskar Freysinger s’est profilé comme le symbole d’une certaine manière de concevoir notre pays et de faire de la politique

 ?? JOHAN ROCHEL DOCTEUR EN DROIT ET AUTEUR
DE «LA SUISSE ET L’AUTRE: PLAIDOYER POUR UNE SUISSE LIBÉRALE» ??
JOHAN ROCHEL DOCTEUR EN DROIT ET AUTEUR DE «LA SUISSE ET L’AUTRE: PLAIDOYER POUR UNE SUISSE LIBÉRALE»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland