Aux urnes, citoyens!
Le romancier français, résolu à donner la parole aux «faiseux» qui font la France, saura ce vendredi s’il dispose ou non des parrainages requis pour se présenter à l’élection présidentielle. En colère contre les élites, il fait l’éloge des élus ruraux et
On peut encore aimer Alexandre Jardin. A Paris, la critique littéraire redoutée s’est transformée en observatrice intriguée. Elle a, jadis, soutenu l’écrivain lorsqu’il sillonnait la France pour «lire et faire lire», du nom de son association lancée en 1999. Elle se souvient du romancier ensoleillé, adoubé par le cinéma, qui adapta Fanfan, roman-culte. Comment ne pas être attendri par ce «zèbre littéraire» quinquagénaire qui, aujourd’hui, ne promet ni plus ni moins que de révolutionner la France s’il parvient, malgré les obstacles, à briguer le suffrage universel?
Alexandre Jardin a un atout. Il charme. Il sait faire. Dans un recoin de la brasserie Wepler, place de Clichy, où on le trouve, l’écrivain-activiste éructe. Sur l’écran de son téléphone, un article erroné du quotidien Le Parisien laisse entendre que les 36000 élus français habilités à accorder leur parrainage aux candidats ne sont pas vraiment libres de choisir. «Vous imaginez, le Conseil constitutionnel bafoue les règles élémentaires de la démocratie. Et l’on me dit que j’exagère lorsque je dis que toute une France est ignorée…» s’énerve l’intéressé. On le calme. Le romancier ne décolère pas. «Vous n’imaginez pas le nombre de maires ruraux qui m’écrivent pour me dire «Bravo, mais…». Ce pays s’enfonce dans le déni.»
Parler. Noyer son interlocuteur sous un flot de références, d’actions entreprises, de villages visités, de «faiseux» rencontrés. La méthode Jardin est celle du bulldozer: pousser fort pour occuper l’espace et exister dans ce «système» médiatico-politique qu’il connaît par coeur. Le 13 juillet, la veille de l’attentat de Nice, l’intéressé faisait partie des orateurs conviés à la première grandmesse d’Emmanuel Macron. On était là aussi. Adoubé comme un frère en action citoyenne par celui qui n’était alors pas candidat, mais juste leader de En marche!, Alexandre avait averti: «Je ne suis pas là pour me rallier.» Lucide.
Depuis, les deux hommes ont pris leurs distances. Macron, le surdoué monté de Picardie pour atterrir à l’ENA puis dans les coulisses du pouvoir, est aujourd’hui jugé «hors sol et tellement Parisien» par Alexandre Jardin, le diplômé de Sciences Po dont le CV transpire le parisianisme. Sacré retournement. Le romancier, petit-fils du directeur de cabinet de Pierre Laval durant la guerre, fils du talentueux scénariste Pascal Jardin, mort d’un cancer à 46 ans, parle des villages français comme s’il était né au cul des vaches. On le lui dit. Il s’énerve, se radoucit. Il parle de la Suisse, où il est souvent venu. Il disserte sur les cantons, la démocratie directe, la participation. «Venez avec moi. Mes «faiseux», je ne les invente pas. La France, c’est eux.»
Le reste de l’histoire est, depuis l’annonce surprise de sa candidature sur France Info en décembre 2016, plus compliquée. Si on l’écoute, Alexandre Jardin devrait exploser les coutures du nombre de parrainages requis. La liste des «faiseux», ces citoyens français mobilisés autour d’une cause locale – souvent pour pallier selon lui les déficiences de l’administration –, est impressionnante. Son site «Bleu, Blanc, Zèbre» (soustitre: «Laissez-nous faire») croule sous les connexions.
Il y a donc bien un phénomène Jardin, fait de dévouement, d’engouement, d’empathie et d’envie de mobiliser les gens au service d’une cause positive. «Les défricheurs, sans être en rupture franche avec la société, interviennent sur ses marges et à rebours des logiques dominantes», écrivait dans Les défricheurs, voyage dans la France qui innove vraiment le journaliste Eric Dupin. C’est le pays d’Alexandre Jardin. Celui des maires qui se battent. Avec une série de recettes «made in Helvétie» faites de décentralisation, de retour sur les territoires, d’accent mis sur l’apprentissage. Problème: comment l’incarner lorsqu’on est homme de lettres, séducteur invétéré et histrion souvent insupportable: «Alexandre n’est pas fait pour présider quoi que ce soit, rigole un de ses éditeurs. Il aime avant tout vivre et rêver. Ses «faiseux» ont une vertu: ils lui évitent de déprimer, maintenant qu’il est rangé sur le plan familial et sentimental.»
La famille. Sans elle, sans ce boulet familial, Alexandre Jardin ne tambourinerait pas aux portes du Conseil constitutionnel, qui dira le 22 mars s’il dispose des 500 parrainages requis (date limite de dépôt vendredi, il en avait 64 au dernier décompte). En juillet, aux côtés d’Emmanuel Macron, l’écrivain avait ainsi justifié son rejet viscéral de l’extrême droite qu’il sent inexorablement monter. «Ma famille porte témoignage de ce que fut l’horreur de cette droite-là. Je me battrai toujours contre elle», s’était-il emporté.
Comment lui dire, dès lors, que le plaidoyer pour ses «faiseux» n’est pas si différent des accents populistes ruraux d’une Marine Le Pen? Gare. Alexandre Jardin peut mordre. «Fanfan» a grandi dans la honte de Pétain, de Vichy. «Les faiseux que je rencontre sont des porteurs d’espoir. Ils n’adhèrent pas à une idéologie rance. Ils colmatent les brèches de l’Etat qui les oublie. Ils sont le ciment citoyen d’une France malade dont ils soignent tant bien que mal les plaies.» A l’entendre, les médias l’horripilent. Les politiciens l’horrifient. Alexandre Jardin ne sera jamais président. Peut-être même pas candidat. Mais ce qu’il dit du «fond des urnes» mérite d’être entendu. ▅
«Alexandre n’est pas fait pour présider quoi que ce soit. Il aime avant tout vivre et rêver»