Des antiquités pillées retrouvent la lumière
Le MAH de Genève présente neuf splendeurs antiques, sorties de leurs pays en toute illégalité, entreposées aux Ports francs et confisquées par le Ministère public genevois. Le patron de la maison, Jean-Yves Marin, veut faire de cette exposition un manifes
Salle des piques, l’heure est au combat. Ce mardi, la foule des grandes batailles se presse au Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève. Jean-Yves Marin, le directeur de la maison, lève le voile sur un trésor, neuf vestiges arrachés à leurs sites originels, Palmyre, le village d’Al-Adi dans l’actuel Yémen et la Libye. Si ces oeuvres vous contemplent, c’est qu’elles ont été entreposées aux Ports francs entre 2009 et 2010, puis saisies par l’Administration fédérale des douanes en avril 2013. Le Ministère public genevois a ordonné, après enquête, leur confiscation à la fin du mois de novembre passé.
Pièces de guerre, donc. JeanYves Marin frappe d’emblée: «Nous montrons des oeuvres qui ne devraient pas être là. Ce n’est donc pas une exposition, mais une présentation.» A ses côtés, Sami Kanaan, ministre municipal de la Culture, sabre à son tour: «Il s’agit par cette initiative de sensibiliser le grand public à ce fléau qu’est le trafic illicite. Priver les populations de leurs patrimoines, c’est effacer leur identité.» Dans un style plus rond, Jérôme Coquoz, directeur à l’Administration fédérale des douanes, confirme que la lutte est sournoise. «Notre mission est de retenir les biens suspects et de les annoncer auprès de l’Office fédéral de la culture (OFC). En 2016, nous avons fait 31 annonces auprès de l’OFC.»
Mais de quel mirage oriental parle-t-on? De ce visage pâle à l’harmonie hellénique par exemple. Un siècle et demi après Jésus-Christ, un marchand de Palmyre voit sa mort en grand. Sur son tombeau, il fait sculpter sa figure sans doute, mais aussi une gueule de lion chargée de veiller peut-être sur ses mânes. Il ne pouvait prévoir les coups de pioche fatals qui briseraient quelque 2000 ans plus tard le catafalque – et un peu de son éternité.
Ce relief, on peut l’admirer à partir de mercredi dans une petite salle du MAH. Comme ces autres pièces, stèles, table en marbre, tête de prêtre, surprises pour certaines dans des caisses – où figure la mention de Doha –, pour d’autres sur de simples palettes. Leur valeur? Ce lot représenterait entre un et deux millions de francs, selon un expert. Mais à qui était-il destiné? Là-dessus, Ministère public et douaniers sont des tombes.
Jean-Yves Marin, lui, en a beaucoup vu, de ces statuettes en déshérence. L’actuel directeur du MAH a été très actif au sein de l’ICOM – Conseil international des musées. La chasse au larcin est l’une des grandes affaires de sa vie. Il a pu constater en Afrique combien la pelle et le marteau pouvaient être criminels. Il détaille le sens de cette «présentation».
Genève a longtemps eu la réputation d’être une plaque tournante du trafic illicite de biens culturels. Est-ce toujours le cas? Ça l’est beaucoup moins que par le passé. En 2005, la loi fédérale sur le transfert international des biens culturels est entrée en vigueur et ce dispositif a tout changé. Jusqu’alors, on pouvait acheter en toute légalité des pièces rares. C’est ainsi que d’immenses collections se sont constituées. Ne dit-on pas que l’Arc lémanique constitue le plus grand musée du monde?
Les collectionneurs obéissent donc désormais à des règles éthiques? Ils ont tout intérêt. Quand vous investissez des millions dans une collection, ce n’est pas pour vous retrouver sur la sellette, au coeur d’une enquête judiciaire. Les collectionneurs n’ont pas envie de devoir cacher leurs trésors.
N’empêche que beaucoup de ces trésors dorment dans des villas au bord du lac ou ailleurs. Est-ce à dire qu’ils sont perdus pour les archéologues? Ils peuvent rester cachés pendant trente ans et un jour ils resurgissent, à la mort de leurs propriétaires. Il arrive souvent que les héritiers, qui ne savent qu’en faire, s’adressent à nous.
Pourquoi le MAH s’est-il vu confier ces pièces? Le Ministère public nous a demandé d’évaluer l’état de ces oeuvres, de les documenter et de les faire connaître, afin de sensibiliser la population aux ravages de ce trafic.
Cette présentation est une forme de manifeste? Absolument. Il s’agit de rappeler des valeurs. La lutte contre ce commerce est une cause essentielle. Voyez ce relief de Palmyre qui date du IIe siècle après J.–C. Il a été arraché à un ensemble qui a perdu, du fait de cette amputation, une bonne partie de son intérêt. Des sites d’une richesse prodigieuse, au Yémen notamment, sont aujourd’hui des carrières où s’activent des professionnels du pillage.
Ces exactions sont donc chroniques? Oui, hélas. Il y a deux facteurs qui les favorisent. La misère, c’est-àdire la famine, et la guerre. Dans les années 1980, l’Afrique, le Mali en particulier, a été une terre bénie pour les trafiquants. Entre 2005 et 2010, on a pu croire que le trafic allait baisser, même en Irak, dans cette fameuse zone entre le Tigre et l’Euphrate qui constitue l’un des berceaux de l’humanité. Mais ça a repris de plus belle. Au Yémen, le climat de grande violence et les enlèvements ont mis fin aux missions archéologiques. Les pilleurs ont pris le relais.
Est-ce que Daech tire les ficelles comme on le dit souvent? Sans doute. C’est un bon moyen de financer sa lutte, mais il ne faut pas se leurrer. Ce que rapporte ce trafic est dérisoire en regard de l’argent du pétrole.
Que vont devenir les pièces présentées au MAH? Nous les exposerons jusqu’en septembre dans une petite salle à l’écart de notre section d’archéologie, histoire qu’il n’y ait pas d’amalgame. Nos pièces sont saines! Dans les six mois qui viennent, il y aura probablement des demandes de restitution. L’essentiel est que les receleurs comprennent: les musées prédateurs, c’est fini.
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