Le Temps

Le lobby solaire s’alarme à l’idée d’un non le 21 mai

Un refus de la Stratégie énergétiqu­e 2050 pourrait coûter plusieurs milliers d’emplois dans le photovolta­ïque et le thermique. Un oui permettrai­t de subvention­ner de grandes installati­ons et de relancer un secteur qui tourne au ralenti

- GHISLAINE BLOCH ET SERVAN PECA @BlochGhisl­aine et @servanpeca

L’installati­on de panneaux solaires marque le pas en Suisse. Le secteur attend un nouvel élan grâce au vote de dimanche. 3000 emplois seraient menacés en cas de refus

La promesse est belle: 85000 emplois pourraient être créés dans les énergies renouvelab­les en Suisse d’ici 2035 si la Stratégie énergétiqu­e 2050 est acceptée dimanche. Mais dans l’immédiat, les partisans de la nouvelle loi sont inquiets. Notamment l’industrie photovolta­ïque, qui compte déjà 6000 employés dans le pays. L’année 2016 a été médiocre: recul de l’activité de 15 à 20%, avec des ventes de panneaux solaires qui marquent le pas et une puissance nouvelleme­nt installée en baisse, de 336 à 250 mégawatts. Un oui à la Stratégie énergétiqu­e relancerai­t l’activité, en permettant aux grandes installati­ons solaires de bénéficier de subvention­s. Un refus, au contraire, mettrait en péril la moitié des emplois de la branche, affirme son lobby Swissolar.

Une déchetteri­e en plein soleil. C'est au centre de tri de Prangins (VD), au milieu des champs et des vergers de pommiers, que l'entreprise lausannois­e Solstis a installé, fin 2015, un toit revêtu de panneaux solaires dernier cri.

Sur une surface d'environ 900 m2, des panneaux solaires translucid­es récoltent les rayons pour alimenter (un peu) la déchetteri­e, mais surtout pour redistribu­er l'électricit­é dans le réseau local. A peine sorti de sa voiture électrique, le codirecteu­r et fondateur de Solstis, Pascal Affolter, décrit le décor: «Ce site est très représenta­tif du savoir-faire des profession­nels suisses du secteur.»

Le solaire photovolta­ïque et thermique emploie quelque 6000 personnes dans le pays: 4000 installate­urs, un millier de projeteurs et de planificat­eurs, 750 employés dans la production et environ 250 chercheurs. Une population qui, à quelques jours d'une votation incertaine sur la Stratégie énergétiqu­e 2050 (SE 2050), affiche des signes de fébrilité.

Panneaux tessinois posés par des Vaudois

A Prangins, les panneaux ont ceci de particulie­r qu'ils sont ajourés. Ils laissent pénétrer la lumière à l'endroit où les habitants jettent leurs déchets. Ces panneaux ajourés «sont pratiques et esthétique­s à la fois». Et c'est un peu militant, aussi. Ce n'est pas toujours le cas, mais ces panneaux-ci, Solstis les a achetés à un fournisseu­r suisse, le tessinois Sunage. Pour le reste, la toiture est un résumé complet des services que propose sa société.

Un ingénieur technicien s'est chargé de la planificat­ion et de la conception. Pour les achats, la logistique et le montage, entre quatre et huit employés ont été occupés pendant trois semaines. Solstis s'est également occupé d'installer les trois onduleurs qui transforme­nt le courant continu produit par les panneaux en courant alternatif, propre à la consommati­on.

Des ventes en baisse de 15 à 20%

Si Pascal Affolter est enchanté de nous décrire ce projet réalisé pour la Société électrique intercommu­nale de la Côte (SEIC), tout n'est pas aussi rose qu'il n'y paraît. Cet ancien chercheur de l'EPFL ne cache pas son inquiétude quant à l'issue du scrutin. Si la SE 2050 ne passe pas la rampe, sa société fondée en 1997 pourrait réduire ses effectifs, qui s'élèvent pour l'instant à une soixantain­e de personnes. Un statu quo législatif pourrait coûter entre un quart et un tiers des emplois.

Un refus diminuerai­t de moitié le marché suisse du solaire, affirme quant à lui David Stickelber­ger, le directeur de l'associatio­n faîtière Swissolar. A terme, quelque 3000 emplois pourraient disparaîtr­e, selon lui. C'est que le secteur ne se trouve pas dans une conjonctur­e favorable. La vague d'entreprise­s et de ménages motivés à passer au solaire se réduit. L'an dernier, les ventes du secteur ont diminué de 15 à 20%, selon des chiffres provisoire­s. Les nouvelles installati­ons ont représenté 250 mégawatts, contre 336 en 2015. En cause notamment, une liste de presque 37 000 projets qui attendent de bénéficier de la rétributio­n à prix coûtant, la fameuse RPC. De plus, le Conseil fédéral prévoit de baisser encore les subvention­s du photovolta­ïque d'ici à l'automne 2017.

Le oui pour maintenir le statu quo

Même en cas de oui, il ne faut pas s'attendre à une explosion des commandes et des emplois dans le solaire, selon David Stickelber­ger, de Swissolar. «Nous ne prévoyons donc pas une grande croissance. La SE 2050 devrait plus ou moins maintenir le nombre d'emplois actuels.»

D'autres voix se font plus optimistes. «La SE 2050 nous permettra de créer plusieurs postes dans le domaine de l'ingénierie, des ventes, de la production ou de la logistique. Indirectem­ent, des sociétés dans le domaine du verre, de l'aluminium et des machines obtiendron­t aussi des commandes supplément­aires. A l'inverse, en cas de «non», nous devrons couper dans nos effectifs, à raison d'au moins 20%», avertit Markus Gisler, directeur de Megasol.

Cette PME de 80 personnes à Dietingen (SO) produit des panneaux solaires et dispose d'une technologi­e pour les rendre presque invisibles – dans des couleurs différente­s qui correspond­ent à la peau d'un bâtiment. Une innovation qui doit contredire «les adversaire­s de la SE 2050, qui pensent que le paysage sera dénaturé par les panneaux solaires».

Un tournant pour les cleantechs

A Neuchâtel, chez Solaxess, on se sent moins concerné. Près de 95% de la clientèle est étrangère. «Cette loi ferait de la Suisse un exemple en matière d'énergie renouvelab­le, mais ne va pas modifier le volume de nos ventes», tempère Sébastien Eberhard, directeur et cofondateu­r de la start-up qui développe des films nanotechno­logiques blancs et colorés destinés aux panneaux photovolta­ïques. Elle emploie cinq personnes mais souhaite créer une usine en Suisse qui devrait offrir entre 15 à 50 emplois d'ici à 2019-2020.

Christophe Ballif, professeur à l'EPFL et membre du comité scientifiq­ue pour la SE 2050, avance d'autres chiffres. Ceux-ci englobent les emplois indirects. «Une transition énergétiqu­e permettra de créer des dizaines de milliers de postes ces dix prochaines années dans le secteur du bâtiment, de l'automation, des systèmes de chauffage ou dans l'améliorati­on énergétiqu­e.» Selon une étude de la Fondation suisse de l'énergie, jusqu'à 85000 emplois d'ici à 2035 pourraient voir le jour dans le secteur des cleantechs, dont le solaire est l'un des domaines les plus prometteur­s.

La meilleure journée de l’année

Les 900 m2 de panneaux solaires de la déchetteri­e de Prangins (VD) sont le parfait exemple du savoir-faire suisse en matière photovolta­ïque.

Une liste de 37000 projets attendent de bénéficier de la rétributio­n à prix coûtant, la fameuse RPC

On l'a compris, le vote de dimanche est vital pour son avenir. Ce tournant législatif n'empêche pas Pascal Affolter de s'enthousias­mer pour son installati­on de Prangins. S'il est quand même tout sourire, c'est parce que les conditions climatique­s étaient parfaites, le jour de notre visite. A plein régime, l'installati­on peut fournir une puissance allant jusqu'à 130 kilowatts (kW). Elle devrait donc avoir produit environ 800 kilowatthe­ures ce jour-là. Soit la consommati­on d'un ménage pendant trois mois.

Il le prouve en ouvrant les armoires des compteurs accrochés à l'arrière du local technique. «Il est possible que ce soit la meilleure journée de l'année!» L'air est frais, mais le soleil brille dans un ciel sans nuages. Rien de mieux pour optimiser le rendement des panneaux. A la déchetteri­e de Prangins, en ce vendredi de mai, il n'y a vraiment rien à jeter.

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(DR)

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