Duel de «tueuses» en terre vaudoise
Cesla Amarelle et Isabelle Chevalley monopolisent le devant de la scène dans le second tour. Avec une campagne dont l’agressivité tranche avec la sérénité du premier tour
Le ton s’envenime entre les deux candidates les plus en vue de la course au Conseil d’Etat
Finie, la campagne vaudoise consensuelle et molle du premier tour. Place à la lutte à couteaux tirés entre deux femmes très déterminées, la Vert’libérale Isabelle Chevalley (à g.) et la socialiste Cesla Amarelle (à dr.).
En janvier, la première soutenait la seconde face à ses rivales pour l’investiture socialiste. Aujourd’hui, elle la pilonne: «Cesla Amarelle ne cesse d’essayer de cacher qui elle est véritablement», dit-elle. Trop à gauche, arrogante, cassante: les qualificatifs sont peu amènes.
Cesla Amarelle riposte sur le même ton: «Isabelle Chevalley a tenu des positions très à droite et fait preuve d’une agressivité que les Vaudois apprécient peu.» Selon l’ancien syndic de Lausanne Daniel Brélaz, c’est bien entre ces deux concurrentes que se joue désormais l’élection, marginalisant ainsi le candidat UDC Jacques Nicolet.
Le soir du premier tour des élections cantonales, le 30 avril dernier, les Vaudois s'endormaient avec la tranquille impression que cette campagne politique reflétait le calme satisfait de leurs contrées. Le gouvernement sortant avait été en grande majorité plébiscité, les deux candidates restantes les mieux placées promettaient de conserver telle quelle la double majorité de femmes et de gauche au Conseil d'Etat.
Le candidat UDC Jacques Nicolet, avec lequel la droite tentait mollement de renverser la majorité, n'avait pas attaqué la formation existante car «ce n'était pas dans [son] caractère», alléguait-il. Il faisait tout au plus valoir que le poids de son parti au parlement (troisième parti au Grand Conseil) lui légitimait sa place au gouvernement.
«Baiser du diable»
C'était compter sans l'acte II, qui, dès le lendemain du premier tour, allait projeter la campagne dans une tout autre dimension. Le score de Jacques Nicolet, avec un résultat meilleur qu'attendu, permet de présenter in extremis une droite élargie dont certains rêvaient depuis longtemps. La Vert'libérale Isabelle Chevalley finalement intégrée dans l'alliance de droite, alors qu'elle en avait été exclue pour le premier tour, va changer le ton et la couleur du débat politique. «Le mot d'ordre du Parti socialiste a immédiatement été de la discréditer», nous confie l'un de ses proches. «Baiser du diable», «alliance contre nature», «opportunisme caméléon» ou encore «grave affront»: sur Twitter, les qualificatifs outrés s'accumulent pour décrire le ticket commun d'Isabelle Chevalley et de Jacques Nicolet. «Quand l'ego passe avant le cerveau», attaque encore le président du Parti socialiste suisse. Connue pour son franc-parler, Isabelle Chevalley choisit alors son bouc émissaire: Cesla Amarelle.
Etonnant, lorsque l'on se souvient de la façon dont Isabelle Chevalley défendait sa collègue du Conseil national au moment de la primaire socialiste en janvier 2017. Aujourd'hui le ton a changé. «Cesla Amarelle ne cesse d'essayer de cacher qui elle est véritablement», tance aujourd'hui la candidate Vert'libérale. «Et ça m'agace. Les électeurs ont droit à la vérité: je suis une écolo de droite. Elle se situe plus à gauche qu'Ada Marra.» Arrogante, méprisante, dit-on de Cesla Amarelle dans le camp adverse, à sa sortie du débat télévisé.
Attaques «personnelles»
Le lendemain, elle est traitée de «menteuse» par les Vert'libéraux sur le dossier Forta. Cesla Amarelle déplore ces attaques «personnelles». «En termes de visibilité, Jacques Nicolet s'est fait dépasser par Isabelle Chevalley, qui a tenu des positions très à droite et fait preuve d'une agressivité que les Vaudois apprécient peu en général», lance la candidate socialiste. Mais une Vert'libérale au Conseil d'Etat, Cesla Amarelle n'y croit pas: «J'espère que l'électorat du centre et du centre droit humaniste modéré saura se reconnaître en Béatrice Métraux et moi-même. Dans ce cas, je crois que nous avons une réelle chance de confirmer la majorité sortante du Conseil d'Etat.»
Cesla Amarelle déclare ne pas ressentir d'animosité contre Isabelle Chevalley. «Par contre, elle a fait une campagne irrationnelle, d'une agressivité incroyable dont je ne comprends pas la raison.» Ce sont toutes deux des «tueuses» politiques, estime une observatrice des affaires vaudoises.
La campagne se joue désormais entre elles deux. «Béatrice Métraux a suffisamment d'avance pour ne pas avoir besoin d'entrer si frontalement dans la campagne», considère Daniel Brélaz, toujours prêt à se lancer dans des pronostics. «Jacques Nicolet a probablement épuisé sa réserve de voix au premier tour [il a fait 5300 voix de moins que Cesla Amarelle, ndlr]». En 2012, le candidat UDC ClaudeAlain Voiblet n'avait pas réussi à augmenter son nombre de voix entre le premier et le second tour. «Il se passera la même chose avec Jacques Nicolet dont le score correspond d'ailleurs à celui de Claude-Alain Voiblet», prédit encore Daniel Brélaz.
Le second siège se jouerait donc entre Isabelle Chevalley et Cesla Amarelle? «Isabelle Chevalley utilise l'UDC en marchepied. La question est de savoir combien d'UDC sont prêts à voter pour une Vert'libérale», répond l'ancien syndic de Lausanne. Reste encore un élément extérieur qui pourrait influencer les électeurs: le vote sur la stratégie énergétique, qui se joue le même jour. «Un sondage annonce 30% de non dans le canton de Vaud. 25% de ces anti-éoliens se situent à droite. Cela les empêchera-t-il de voter pour la Vert'libérale Isabelle Chevalley? Ils pourraient dans ce cas donner leur seconde voix à Toto Morand», imagine encore Daniel Brélaz.
A moins que les Vaudois, bousculés par ce débat étonnement virulent, ne regrettent la tranquillité du premier tour. Dans ce cas, feront-ils de Jacques Nicolet le troisième larron, profitant de tirer avantage du litige entre les deux camps? Réponse dimanche.
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