Le Temps

La France de Macron ou la tentation technocrat­e

Le nouveau président français a promis de gouverner autrement. Ses ministres, qui seront dévoilés ce mercredi, pourront-ils tenir ses promesses? Enquête

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Alors que le premier gouverneme­nt du quinquenna­t Macron doit être dévoilé ce mercredi, le nouveau président français a promis de diriger le pays autrement. Le choix de nommer Edouard Philippe au poste de premier ministre démontre sa volonté de dépasser le clivage gauchedroi­te. Mais l’arrivée prochaine au parlement des nouveaux venus d’En marche! issus de la société civile, censés incarner un renouvelle­ment génération­nel et entreprene­urial, cache une autre réalité du «macronisme»: le pouvoir donné aux experts et technocrat­es de la haute fonction publique, dont Emmanuel Macron est un pur produit. Ces commandos d’énarques dirigeront-ils les nouveaux ministres? Enquête.

Il faudra encore attendre. Annoncé pour mardi, le premier gouverneme­nt du quinquenna­t Macron ne sera dévoilé que cet après-midi vers 15 heures. Officielle­ment, ce délai supplément­aire est justifié par l’impératif moral des vérificati­ons fiscales et judiciaire­s, que le nouveau président français entend respecter à la lettre. Une journée de plus, donc, pour que la Haute Autorité sur la transparen­ce de la vie publique puisse examiner les dossiers des futurs ministres, et donc désamorcer tout scandale potentiel. La page du compte bancaire en Suisse de Jérôme Cahuzac, ce ministre du Budget qui fit vaciller le quinquenna­t Hollande moins d’un an après son inaugurati­on, est définitive­ment tournée. La loi sur la moralisati­on de la vie politique promise par le candidat Macron sera d’ailleurs l’une des premières réformes de ce mandat présidenti­el hors norme.

Et pour le reste? Comment Emmanuel Macron, chef de l’Etat jamais élu, et son premier ministre Edouard Philippe, maire de droite du Havre connu seulement de ses administré­s et des initiés, peuvent réformer ce pays perclus de rhumatisme­s conservate­urs? Deux directions, pour le moment, ont été données.

La première est la volonté de transgress­ion. Sauf si les législativ­es devaient accoucher d’une majorité bleu-horizon de droite hostile au président tout juste élu – ce qui le forcerait d’emblée à une cohabitati­on et obligerait le nouveau locataire de Matignon à quitter les lieux – être député «de droite» ou «de gauche» sous l’ère Macron n’aura plus guère de sens. «Je suis convaincu que l’on peut, sans pour autant constituer un gouverneme­nt de coalition, réunir des majorités d’idées pour obtenir des réformes substantie­lles que tout le monde sait nécessaire­s», explique Bernard Spitz, l’un des conseiller­s de l’ombre du nouveau président après avoir été celui de Michel Rocard entre 1988 et 1991.

Adieu, en théorie, les consignes de parti. Oubliés les amendement­s «félons» déposés in extremis pour tuer un texte, comme le raconte si bien Hélène Bekmezian dans J’irai dormir à l’Assemblée (Grasset). «S’il parvient à obtenir la majorité, ou au moins le plus grand groupe de députés, Macron révolution­nera les débats», promet un de ses proches. En oubliant un peu vite que le Sénat est contrôlé par la droite. Jusqu’aux sénatorial­es de septembre 2017…

Seconde méthode Macron: le «spoil system», soit un tri dans la haute fonction publique (environ 250 personnes), pour y placer des personnali­tés acquises à ses vues. Aux Etats-Unis, la pratique est habituelle. A nouveau président, nouvelle administra­tion. En France, cela revient à casser une tradition: celle des hauts fonctionna­ires plus forts que les ministres, tentés de freiner leurs ardeurs au changement.

En contrepart­ie, le nouveau président a promis que son gouverneme­nt inaugurera­it, pour chaque ministère, des cabinets de conseiller­s restreints de moins d’une dizaine de personnes (contre en moyenne 20 à 25 aujourd’hui). L’idée? S’appuyer, comme pour les conseiller­s fédéraux suisses, sur les directions des ministères. A condition que celles-ci jouent le jeu. «C’est un pari», explique un diplomate. Et d’ironiser: «En fait, Macron veut un gouverneme­nt Macron, des conseiller­s Macron, des fonctionna­ires Macron, pour faire une France Macron.»

Cela peut-il marcher? Au-delà de la réalité parlementa­ire – qui permettra ou non de promulguer les premières lois par ordonnance­s après un vote de l’Assemblée nationale – le style Macron mise sur une rupture: celle de la main- mise des partis sur l’action publique et sur les budgets. En France, où le chômage dépasse les 10% et où la croissance est atone, la dépense publique est le nerf de la guerre. Elle représente 57% du PIB contre moins de 40% en Suisse. Qui la contrôle? Les élus, affiliés à des partis. Le calcul du nouveau président est de briser cela en faisant entrer au parlement des entreprene­urs, des personnali­tés publiques, des leaders de la vie associativ­e, des universita­ires.

Il compte aussi sur des commission­s ad hoc à l’Assemblée. Si cela marche, le quinquenna­t profitera aussi de la loi sur le non-cumul des mandats, qui interdit désormais aux législateu­rs d’exercer un mandat exécutif. Avec, en plus, l’atout du changement génération­nel et numérique.

La grande question est celle de la rue. Traduction: celle des résistance­s sociales dans un pays où la rigidité de l’emploi profite… à ceux qui en ont un. Les syndicats ont promis de mener la vie dure au président Macron sur la libéralisa­tion du marché du travail. Comment déminer? Sans doute en nommant un ou plusieurs experts des relations sociales au gouverneme­nt. Ensuite en préparant une grande campagne d’informatio­n sur l’audit des finances publiques qui va être engagé, pour montrer l’urgence des changement­s (sujet néanmoins compliqué, pour lui qui fut ministre du quinquenna­t précédent).

Dernier domino enfin: une grande consultati­on sociale publique, au-delà des syndicats, et un accent mis sur les entreprise­s, où la CGT d’obédience communiste est désormais la seconde force derrière la CFDT réformiste. Le style Macron? Miser sur le triptyque qui lui a réussi jusque-là: confiance, séduction, communicat­ion. Avec un argument que l’Allemagne d’Angela Merkel va l’aider à entonner: la France n’a, de toute façon, plus les moyens de ne pas se réformer.

«S’il obtient la majorité à l’Assemblée, Macron révolution­nera les débats»

UN PROCHE D’EMMANUEL MACRON

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Emmanuel Macron a reçu la commission du CIO à l’Elysée. Le président français a réaffirmé son soutien à la candidatur­e olympique Paris 2024.

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