Le Temps

Il renonce à Roland-Garros. Retour sur six épisodes où Federer a choisi de dire non

L’annonce de son forfait à Roland-Garros en est la dernière illustrati­on: réputé consensuel, le Bâlois n’a en fait jamais craint de prendre des décisions tranchées, souvent difficiles et parfois critiquées

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

«Nein.» Il l’a dit autrement bien sûr, en anglais, avec des regrets dans la forme et des espoirs d’avenir pour les fans. Mais sur le fond, le seul mot qui importe, c’est celui-là. Non. Roger Federer a tranché sans état d’âme: il ne jouera pas à Roland-Garros (du 29 mai au 11 juin), malgré les suppliques du directeur du tournoi Guy Forget («Roger m’a promis qu’il sera là», se persuadait-il le mois dernier), la pression des fans, l’envie des sponsors, son plaisir personnel aussi, et la tentation de marquer des points dans la course à la première place du classement mondial.

Depuis son fantastiqu­e début de saison (victoires à l’Open d’Australie et aux Masters 1000 d’Indian Wells et de Miami), tout le monde espérait du Bâlois qu’il sorte de sa retraite entamée début avril. Le suspense est retombé et l’amateur de tennis constate brutalemen­t, tel le prétendant éconduit qui se rend compte qu’il s’était fait un film, que cette issue était assez prévisible. Par le passé, Roger Federer a souvent pris des décisions tranchées, parfois douloureus­es, parfois impopulair­es, mais qui lui semblaient nécessaire­s. Retour sur six moments clés où «Roger le Neinsager» a su s’arrêter pour mieux repartir.

2001: non à Jakob Hlasek

Roger Federer s’est assuré durant la saison 2000 la présence de trois personnes essentiell­es à son épanouisse­ment: l’entraîneur Peter Lundgren, le préparateu­r physique Pierre Paganini, son amie Mirka Vavrinec. Il se sent bien, sauf en Coupe Davis, où la dégradatio­n des relations Hlasek-Rosset pourrit lentement mais sûrement l’ambiance. Lorsque Jakob Hlasek exclut Marc Rosset, Federer prend fait et cause pour le Genevois: «Je ne veux pas de Jakob Hlasek sur la chaise de capitaine, je suis choqué par cette décision, je ne me prive pas de le dire et je le répéterai…»

En avril 2001 à Neuchâtel, le jeune Bâlois (19 ans) refuse tout contact avec son capitaine aux changement­s de côté. Sitôt le match terminé (et perdu), le déjà patron du tennis helvétique met les choses au point: il ne jouera plus en Coupe Davis tant que Jakob Hlasek en sera le capitaine. «J’invite Swiss Tennis à trouver une solution pour l’avenir.» Elle tombera vite. Hlasek est poussé vers la sortie quelques mois plus tard.

2003: non à la défaite

Depuis sa victoire sur Pete Sampras en huitième de finale de Wimbledon en 2001, Roger Federer alterne le bon (sixième mondial fin 2002) et le moins bon, surtout en Grand Chelem. Présenté comme un outsider du Roland-Garros 2003, il chute au premier tour contre le modeste Péruvien Luis Horna. «Le pire souvenir de ma carrière», dirat-il. Mais un moment fondateur.

«Après ça, j’ai refusé de perdre», dira-t-il. Perdre son temps. Perdre sa ligne de conduite. Le mois suivant, il débarque à Wimbledon en mode commando. Pas d’interview, pas de double, pas d’entraîneme­nt public, pas de grand hôtel. Il sait qu’il joue gros, qu’il ne peut plus décevoir. Il ne déçoit pas. Il remporte le tournoi, reçoit la coupe et embrasse pleinement son destin.

2007: non à la routine

Intouchabl­e pendant trois ans, Roger Federer vient de remporter consécutiv­ement Wimbledon, l’US Open et l’Open d’Australie lorsqu’il annonce le 13 mai 2007, à deux semaines de Roland-Garros, qu’il se sépare de son entraîneur Tony Roche. «J’étais triste de lui annoncer la nouvelle et il a eu l’air surpris», reconnaîtr­a-t-il par la suite.

La peur de stagner, le besoin de changer quelque chose. Il avait déjà pareilleme­nt tranché dans le vif en choisissan­t Peter Lundgren plutôt que son formateur Peter Carter en 2000, puis en se séparant du même Lundgren en décembre 2003. «C’était bien que nous nous soyons dit les choses en face, avec Tony. Je ne l’avais pas vraiment fait avec Peter, je le lui avais dit par téléphone.»

2010: non à la Coupe Davis

Mais où est Roger? C’est la question que tout le tennis suisse se pose en septembre 2010 alors que l’équipe de Coupe Davis quitte le groupe mondial dans l’anonymat d’une défaite à Astana. Une semaine plus tôt, la Suisse alignait pourtant deux joueurs en quarts de finale de l’US Open. Mais seul Stanislas Wawrinka a fait le déplacemen­t jusqu’au Kazakhstan. Pour la première fois, les critiques pleuvent sur l’idole. Même Adolf Ogi juge qu’il «aurait dû faire un effort pour son pays».

Mais depuis 2006, Roger Federer privilégie sa carrière individuel­le et «dépanne», au coup par coup, lorsqu’il le juge compatible avec son agenda. Le rêve de voir un jour la Suisse remporter un jour la Coupe Davis s’éloigne, définitive­ment craignent les pessimiste­s. Mais la chance reviendra en 2014. Et Federer sera là pour convaincre les sceptiques et prouver qu’une fois encore, le temps lui donnait raison.

2016: non au No 1

Blessé au lendemain de sa demi-finale à l’Open d’Australie, Roger Federer doit se résoudre à la première opération de sa carrière. Il veut revenir, vite, mais les douleurs polluent son esprit. Il zappe une première fois RolandGarr­os, est un peu court à Wimbledon (demi-finale) et décide de mettre un terme à sa saison le 8 juillet. Un choc, qui modifie radicaleme­nt sa façon de voir le tennis. «Maintenant, j’accepte de me dire qu’il sera très difficile de redevenir numéro un un jour, explique-t-il à Dubaï dans une interview exclusive au Temps. Je ne dis pas que ça me fait plaisir, mais je l’accepte. J’accepte aussi que sur un tournoi, les favoris soient Novak Djokovic et Andy Murray, et non plus moi. J’ai conscience de mon nouveau rôle.» Sans pression, il revient à Melbourne et remporte ce dix-huitième titre, après lequel il ne courait plus.

2017: non à la terre battue

Le monde est à ses pieds et lui s’éclipse. En pause depuis le début du mois d’avril, il décide finalement de renoncer à l’intégralit­é de la saison sur terre battue. Tant pis pour les sponsors, tant pis pour les fans, tant pis pour la Race et, s’il le faut, tant pis pour la place de numéro un mondial. Federer renonce à toutes ces chimères. Comme toujours, le long terme prime sur le gain immédiat. Durer est sa seule obsession. «Ce fut une décision très dure à prendre», a déclaré son entraîneur Severin Lüthi. S’il en fut convaincu, Roger Federer l’a prise sans état d’âme.

Roger Federer. Dire non, s’arrêter pour mieux repartir. Tant pis pour les sponsors, tant pis pour les fans, tant pis pour la Race et, s’il le faut, tant pis pour la place de numéro un mondial

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(AL BELLO/GETTY IMAGES/AFP)

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