Libérée, Chelsea Manning veut oublier WikiLeaks
L’ex-analyste militaire qui a livré des milliers de documents confidentiels au site de Julian Assange sort de prison après sept années de réclusion. Condamnée à 35 ans, elle a profité d’une réduction de peine grâce à l’intervention de Barack Obama
Bradley est entré en prison en 2010, mais c’est bien Chelsea qui se réjouit d’en ressortir. L’histoire de Chelsea Manning, ex-Bradley donc, est atypique. Car Bradley n’est autre que le sergent américain qui, pendant un congé d’une mission en Irak, a fourni 700000 documents secrets au site WikiLeaks de Julian Assange. Chelsea devait sortir de prison ce mercredi au plus tard. «Pour la première fois, je me vois un avenir en tant que Chelsea. Je m’imagine survivre et vivre dans la peau de la personne que je suis et qui pourra l’être dans le monde extérieur», a-t-elle fait savoir la semaine dernière, via un communiqué transmis par ses avocats.
Condamné en août 2013 à 35 ans de réclusion, Bradley-Chelsea, 30 ans cette année, a vu sa peine commuée par Barack Obama trois jours seulement avant qu’il ne quitte la Maison-Blanche. L’ex-soldat américano-britannique qui travaillait comme analyste militaire aura finalement passé près de sept ans derrière les barreaux, la plupart dans la prison militaire pour hommes de Fort Leavenworth, dans le Kansas.
C’est un hacker, Adrian Lamo, avec lequel Manning avait sympathisé, qui l’a dénoncé au FBI. Bradley est arrêté en juin 2010. Il est d’abord détenu, pendant un mois, dans une prison au Koweit, avant d’être transféré aux Etats-Unis. Parmi les documents qu’il a fait fuiter – essentiellement des rapports sur les missions des Forces armées en Irak et en Afghanistan –, figurait notamment la vidéo Meurtre collatéral d’une bavure américaine lors d’un raid aérien en 2007 à Bagdad, qui s’est soldé par la mort de civils dont deux reporters de Reuters.
Conditions de détention «cruelles» et «dégradantes»
En prison, Chelsea Manning a fait deux tentatives de suicide en 2016, ainsi qu’une grève de la faim pour dénoncer les mesures disciplinaires dont elle faisait l’objet. C’est dès le lendemain de sa condamnation que Manning a déclaré être transgenre et demandé officiellement à changer de sexe. Commence alors un casse-tête pour les autorités pénitentiaires. En avril 2014, la justice accepte que le détenu se fasse appeler Chelsea. Mais, légalement, il est toujours considéré comme un homme. Ce n’est qu’en février 2015, après une longue bataille judiciaire, que l’armée l’autorise à suivre une thérapie hormonale. Un mois plus tard Chelsea Manning se fait reconnaître le droit d’être désignée à vie par des pronoms féminins ou neutres.
Selon le rapporteur des Nations unies sur la torture, Chelsea Manning était soumise à des conditions de détention jugées «cruelles, inhumaines et dégradantes». «Désormais, la liberté est quelque chose que je vais connaître de nouveau avec mes amis et personnes aimées après presque sept années de barreaux et de ciment, de placements à l’isolement, avec mon autonomie et mes soins entravés, notamment ces coupes de cheveux régulièrement imposées», relève l’ex-soldat, dans sa déclaration écrite.
Plusieurs témoignages devant une cour martiale attestent que ses deux parents étaient alcooliques et que son enfance était loin d’être un long fleuve tranquille. Selon un expert psychiatre, Bradley Manning présente même des signes du syndrome d’alcoolisation foetale. Plusieurs personnalités se sont engagées pour qu’il obtienne une grâce présidentielle. Daniel Ellsberg, lanceur d’alerte qui a livré pendant la guerre du Vietnam les fameux Pentagone Papers, en fait partie, tout comme Edward Snowden, ex-employé de la CIA. Mais aussi, par exemple, le réalisateur Michael Moore. Si Manning a entre autres été condamné pour des actes de vol, d’espionnage et de fraude informatique, il a en revanche été blanchi de l’accusation de collusion avec l’ennemi, passible d’une peine de 90 ans de prison.
Contactée, l’équipe qui s’occupe de la défense de la détenue refuse de préciser si elle sera placée sous surveillance ou protection. Chelsea Manning, qui gardera son statut militaire, aspire à oublier WikiLeaks et à se tenir éloignée des médias. Les regards se tournent désormais vers le fondateur de WikiLeaks. Cloîtré dans l’ambassade d’Equateur à Londres pour échapper à une extradition vers la Suède dans une affaire de viol présumé, Julian Assange s’était déclaré prêt à être extradé vers les Etats-Unis si Chelsea Manning était libérée. Avant de faire marche arrière.
Chelsea Manning s’exprime via un compte Twitter. Elle tient aussi une chronique quasi mensuelle dans le Guardian. En septembre 2016, elle évoquait une opération pour changer de sexe. Le Département de la défense venait de l’autoriser à rencontrer un chirurgien dans ce but. Mais cette même semaine, elle venait également de recevoir une mauvaise nouvelle: elle risquait d’être punie pour avoir tenté de se suicider. En travaillant sur son dossier, Chelsea retrouve une photo d’elle peu après la tentative. «J’ai vu le visage d’une femme qui a abandonné, écrit-elle. J’ai vu le visage d’une femme qui, pendant des années, a poliment et désespérément demandé de l’aide.»
▅
LANCEUSE D’ALERTE