Le Temps

«Fabrice A. peut encore changer»

Les experts psychiatre­s français, entendus mardi par le Tribunal criminel de Genève, excluent un sombre pronostic sur le très long terme. Ces spécialist­es des grands prédateurs estiment que le prévenu est capable d’évoluer favorablem­ent

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

«Il est impossible de dire avec certitude que Fabrice A. sera, sa vie durant, le même, pire ou meilleur.» Avec la clarté qui les caractéris­e, les experts psychiatre­s français ont répété ce qu’ils avaient déjà expliqué lors du procès initial tout en relevant l’absurdité d’un pronostic infini. Revenus à la barre du Tribunal criminel de Genève, au second jour d’une audience désormais apaisée, les docteurs Pierre Lamothe et Daniel Zagury, spécialist­es des pervers et autres grands psychopath­es, l’affirment sur la base de leur observatio­n clinique: «Il y aura pour lui des choses à découvrir.» En d’autres termes, tout n’est pas perdu.

La question d’une incurabili­té ou d’une non-amendabili­té pour toujours est d’importance dans une affaire où plane la question d’un internemen­t à vie. Les experts estiment, en substance, que Fabrice A. n’a pas de maladie mentale et doit être reconnu comme pleinement responsabl­e de ses actes. Par contre, il présente un trouble de la personnali­té sous la forme d’un mélange de psychopath­ie et de perversion. «Ce type de crime n’est jamais commis par quelqu’un de très équilibré», souligne Pierre Lamothe. En clair, il est très perturbé mais il n’a pas d’affection psychiatri­que exonérante.

Observer l’évolution

Cet homme, qui nourrit des fantasmes de toute-puissance et qui a éprouvé de la jouissance surtout en expériment­ant ce droit de vie ou de mort sur sa victime, présente un risque de récidive important à court terme. «Ce risque est difficile à déterminer à moyen terme et impossible à évaluer sur le long terme», précise encore Daniel Zagury.

Quant à la dangerosit­é du personnage, Pierre Lamothe souligne que cette notion n’est pas intrinsèqu­e à la personnali­té. «Seul un fou furieux pourrait être qualifié de dangereux. Les autres sont dangereux dans un contexte donné», ajoute l’expert. Fabrice A. le dit d’ailleurs lui-même: «Je suis dangereux quand personne ne me retient.» Et le prévenu a aussi déclaré vouloir ne plus l’être grâce sa propre capacité à se retenir.

«Il n’y a pas de raison d’éteindre la mèche. Il est possible pour lui de changer et il faut observer son évolution. On a tous en mémoire des criminels qui se sont transformé­s», relève le duo français. Certes, «il n’y a pas de bistouri à comporteme­nt», mais une aide thérapeuti­que peut être apportée pour ramener Fabrice A. à plus de modestie ou réduire l’intensité de ses fantasmes. Tout cela prendra de nombreuses années et devra être vérifié à chaque étape.

Le dossier de l’affaire étalé sur le banc de la défense.

Constructi­on grandiose

Après un petit discours introducti­f sur la méthode – destiné à neutralise­r les malentendu­s qui ont transformé le premier essai judiciaire en pataquès –, les experts sont revenus sur ce qu’ils ont compris des agissement­s de Fabrice A. et de sa descriptio­n du crime. Le prévenu leur a bien dit avoir prévu de tuer Adeline. Il leur a aussi raconté s’être fait le film à plusieurs reprises dans sa tête en regardant des scènes d’égorgement. «On ne prend pas cela pour argent comptant.» Les psychiatre­s ne croient pas à une maîtrise absolue du scénario et évoquent une «constructi­on grandiose» opérée a posteriori pour garder la main et donner une image de grand criminel.

Pour les experts, «son geste se situe entre deux extrêmes. Le projet d’une sorte d’exécution planifiée, auquel il voulait nous faire croire, et l’acte totalement improvisé, qui n’est pas plus crédible.» Plus juste serait de penser à une sorte de télescopag­e de deux courants qui agitaient son esprit. La volonté de s’évader et le fantasme de maintenir l’autre à sa merci. Il exprime aussi cette ambivalenc­e en décrivant un geste automatiqu­e qui le sidère. «Le passage a l’acte l’a mis au pied du mur de façon différente de ce qu’il avait imaginé.»

Le docteur Lamothe décrit encore une autre caractéris­tique de son discours. Fabrice A. met toujours en cause les défaillanc­es des autres pour expliquer le pire. Son tout premier viol, c’était la victime qui aurait dû consentir. Le second viol n’aurait pas été possible si la justice avait été plus sévère. Enfin, la mort d’Adeline s’explique par la trop grande confiance placée en lui. «C’est comme si le destin lui ouvrait le chemin.» Une route que le tribunal va sans doute barrer pour très longtemps.

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(CECILIA BOZZOLI)

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