Le Temps

«Le permis de conduire a perdu son statut de rite de passage à l’âge adulte»

Depuis plus de vingt ans, la part de jeunes avec permis de conduire diminue. Les nouvelles statistiqu­es indiquent pour la première fois une stabilisat­ion. Des choix pragmatiqu­es amènent les 18-24 ans à passer leur permis plus tardivemen­t

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARCO BRUNNER @MAbRuCO

La voiture, synonyme de liberté et de réussite économique. Cette équation, qui a longtemps résumé le positionne­ment des jeunes génération­s face à la voiture, ne semble plus valable de nos jours. Depuis le milieu des années 1990, la part des 18 à 24 ans possédant un permis de conduire a constammen­t diminué, en Suisse comme ailleurs. Le dernier recensemen­t de l’Office fédéral de la statistiqu­e (OFS), qui porte sur la période 2010-2015, montre que les chiffres se stabilisen­t.

Des chercheurs de l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne (UNIL) ont analysé les causes de cette évolution. Dans une étude à paraître dans la revue Géo-Regards, ils concluent que la principale raison du recul du nombre de jeunes conducteur­s n’est pas un désamour pour la voiture, mais un effet d’âge, qui les amène à faire des choix plus pragmatiqu­es et à passer le permis plus tard.

Patrick Rérat, professeur à l’UNIL et coauteur de cette étude, livre une analyse.

Selon vos recherches, les jeunes ont aujourd’hui un rapport plus fonctionne­l et utilitaire à la voiture, qui les pousse à passer le permis plus tard. Comment expliquer cette tendance? On a pu observer d’importante­s modificati­ons quant à la nécessité de disposer d’un permis et à sa significat­ion en tant que rite de passage. Les transports publics ont été développés, y compris le week-end et la nuit. Les jeunes ont davantage tendance à faire des études, ils entrent sur le marché du travail et fondent une famille plus tardivemen­t. Pendant cette période, le permis n’apparaît pas comme indispensa­ble. Passer le permis a également perdu son statut de rite de passage vers l’âge adulte et de symbole de liberté pour devenir un diplôme parmi d’autres.

Un désamour pour la voiture? Pour la majorité, il ne s’agit pas d’un abandon définitif mais d’un report de quelques années. Le développem­ent du territoire a longtemps été pensé en fonction de la voiture et cette dernière demeure nécessaire pour beaucoup. C’est la raison pour laquelle on observe une petite augmentati­on entre 2010 et 2015, qui s’apparente en réalité davantage à une stabilité.

Des facteurs socio-économique­s ne pèsentils pas plus lourd que le rapport à la voiture pour expliquer la tendance? Les jeunes qui vivent dans des ménages déclarant un revenu mensuel de moins de 4000 francs sont les plus touchés. Les coûts du permis mais aussi de l’achat et de l’entretien d’une voiture jouent certaineme­nt un rôle. L’explicatio­n n’est toutefois pas suffisante: une baisse est également observée dans les familles les plus riches.

Quel rôle a joué l’introducti­on du permis probatoire en 2005, souvent critiquée comme étant trop complexe et cher? Ces nouvelles règles n’ont pas eu un rôle décisif. La baisse de la proportion des jeunes titulaires d’un permis a été beaucoup plus prononcée entre 2000 et 2005 qu’entre 2005 et 2010. Qui plus est, une légère augmentati­on a eu lieu entre 2010 et 2015.

Les nouvelles mesures proposées par le Conseil fédéral dans un projet de loi récemment présenté, comme l’abaissemen­t à 17 ans du permis d’élève conducteur, ne pourront donc pas inverser cette tendance? Il s’agit d’un des objectifs poursuivis, en habituant les jeunes plus tôt à la conduite motorisée et en facilitant les démarches. Je ne pense pas que l’on retrouvera le niveau des années 1990. L’autonomie par rapport à la famille passe désormais par les réseaux sociaux, les smartphone­s ou les voyages. La nécessité d’une voiture survient également plus tard dans le parcours de vie.

Est-il souhaitabl­e d’inverser la tendance? Il faut faire une distinctio­n entre l’obtention du permis et l’usage de la voiture. Le permis, c’est l’assurance de pouvoir recourir à l’automobile en cas de besoin, comme pour un déménageme­nt ou un nouvel emploi dans certains territoire­s. Quant à l’usage de la voiture, il s’accompagne d’effets négatifs tels que la congestion, le bruit, la pollution. La réponse à ces enjeux repose avant tout sur la promotion des transports publics et de la mobilité douce et sur une évolution de la voiture qui sera davantage électrique et partagée.

PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

A long terme, avec l’avènement de véhicules autonomes, le permis ne devient-il pas désuet? Oui, mais il ne faut pas oublier que les premières génération­s de voitures autonomes ne le seront pas totalement. Le conducteur devra être capable de reprendre le contrôle du véhicule selon les situations.

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PATRICK RÉRAT

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