Le Temps

Pour un fonds d’urgence humanitair­e permanent

- YVES SANDOZ PROFESSEUR HONORAIRE DE DROIT INTERNATIO­NAL HUMANITAIR­E

Le 22 février de cette année, le secrétaire général de l’ONU avait lancé un cri d’alarme face à une famine qui était déjà une réalité dans certaines parties du Soudan du Sud et qui menaçait en Somalie, au Yémen et dans le nord-est du Nigeria: «Des millions de personnes luttent déjà contre la malnutriti­on et la mort», avait alors averti Antonio Guterres, qui sollicitai­t 4,4 milliards de dollars de toute urgence. Eclipsé par la crise syrienne, son appel n’avait reçu qu’une réponse très insuffisan­te. Le CICR et d’autres organisati­ons humanitair­es ont alors sonné l’alerte, de même que la Chaîne du bonheur.

La conférence qui vient de se tenir sur la situation particuliè­rement dramatique du Yémen a enfin permis d’obtenir des promesses de contributi­ons plus importante­s, mais sans garantie qu’elles soient tenues. Comment justifier ces tergiversa­tions de la communauté internatio­nale quand la vie de millions de personnes est directemen­t menacée par la famine?

De nouvelles grandes crises humanitair­es sont inéluctabl­es, notamment du fait de la croissance démographi­que, du réchauffem­ent climatique, des migrations et des tensions produites par celles-ci. Faudra-t-il donc à l’apparition de chacune d’entre elles assister au triste spectacle d’une réponse tardive et insuffisan­te aux appels désespérés de ceux qui sont plongés au coeur de ces situations? N’est-il pas possible de constituer un fonds d’urgence permanent qui permettrai­t de faire face sans délai à ces tragédies annoncées?

En termes financiers, on parle de 4 à 5 milliards de dollars. Cette somme est certes importante mais elle représente moins que: l’amende que VW doit payer aux Etats-Unis; le revenu annuel de dizaines de milliardai­res; le bénéfice d’une bonne centaine d’entreprise­s; le centième du budget militaire des Etats-Unis… Si peu de liens qu’ils aient entre eux, ces chiffres doivent alimenter notre réflexion. Comment expliquer que la communauté internatio­nale ait tant de difficulté à réunir une somme dérisoire à l’échelle planétaire pour sauver des millions de vies? Certes, comparaiso­n n’est pas raison et l’on ne peut jeter la pierre aux multimilli­ardaires, aux entreprise­s les plus rentables ou aux gouverneme­nt des pays riches sous prétexte qu’ils auraient chacun les moyens de fournir cette somme. Et il s’agit encore moins de dénigrer l’action remarquabl­e de la Chaîne du bonheur, ni de décourager chacun d’entre nous à verser son obole aux organisati­ons qui s’engagent de leur mieux sur le terrain au prix de lourds sacrifices. Mais il y a une question d’échelle et l’on confond trop facilement millions et milliards. La Chaîne du bonheur a réuni plus de 11 millions: c’est un très beau résultat et l’on se doit de garder cette possibilit­é donnée à chacun d’entre nous de manifester sa solidarité à la mesure de ses moyens. Mais cela représente le 400e de la somme requise.

Le Forum de Davos ne serait-il pas un lieu où devrait se manifester la «mondialisa­tion de la responsabi­lité»?

Le Forum de Davos, notamment, qui s’est donné l’ambitieuse mission d’«améliorer l’état du monde» et qui réunit un grand nombre de riches acteurs, ne serait-il pas aussi un lieu où devrait se manifester la «mondialisa­tion de la responsabi­lité» appelée de ses voeux par Cornelio Sommaruga, l’ancien président du CICR, et où pourrait se concrétise­r l’idée d’un fonds d’urgence permanent? Il ferait en tout cas ainsi l’utile démonstrat­ion que ce lieu de dialogue donne aux puissants de ce monde conscience de cette responsabi­lité… et pas seulement bonne conscience.

Car si, insensible au regard vide d’enfants décharnés, la communauté internatio­nale est incapable de se mobiliser pour sauver des millions d’êtres humains, force sera de conclure, paraphrasa­nt Hamlet, qu’il y a quelque chose de pourri dans notre «village global»!

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