Le Temps

Le rôle de la France

- JOËLLE KUNTZ

La chorégraph­ie présidenti­elle d’Emmanuel Macron est un message stratégiqu­e. Il est le chef des armées quand il remonte les Champs-Elysées dans un véhicule militaire; le chef des armées en guerre quand il visite des soldats blessés et annonce son voyage au Mali. La France est une puissance militaire, son président affirme d’emblée en assurer la pérennité.

Il est le premier des Français quand il serre des mains, embrasse des enfants, des femmes endeuillée­s ou des amis dans la foule, regardant les gens dans les yeux comme quelqu’un qui les voit. Il est un président à leur hauteur.

Il est le chef des territoire­s quand il se rend à la Mairie de Paris pour dire que la France n’est pas que Paris. Vesoul a aussi besoin de lui.

Il est Européen le lendemain quand il va à Berlin, fixant pour de vrai l’horizon spatial et culturel de la France: l’Union européenne autour des deux pays réconcilié­s après deux siècles de haine.

Tout cela raconte un projet. Que la France ait un projet, porté par un homme énergique, est une bonne nouvelle pour tout le monde, l’accueil sympathiqu­e fait à l’élu dans la presse internatio­nale en atteste. Une forme de soulagemen­t s’exprime, comme si une France en crise, en désamour d’elle-même, déconstrui­sait la géographie politique qui sous-tend la sécurité psychologi­que des Européens: il faut, pour être tranquille, que les pays qu’on connaît depuis qu’on est né continuent comme ils sont, avec leurs forces, leurs faiblesses, leurs traits particulie­rs et les liens qu’ils sont capables de tisser entre eux. Il faut que ce paysage familier perdure pour repousser la peur. Les premiers gestes du président sécurisent à la fois les Français soucieux de leur importance et les Européens soucieux de les savoir avec eux. C’est la poursuite d’un récit commencé après la Seconde Guerre mondiale, une fois surmontées la défaite française de 1940 et la défaite allemande de 1945.

La défaillanc­e politique des Etats-Unis depuis Donald Trump crée de l’inquiétude. L’isolement volontaire de la Grande-Bretagne est enregistré avec stupeur et pas encore digéré. L’affaibliss­ement de l’Etat de droit en Hongrie et en Pologne provoque des doutes sur la solidité des valeurs européenne­s déclarées. Les scores électoraux des nationalis­mes sont menaçants. Dans ce climat nauséeux, le narratif d’Emmanuel Macron est un espoir et la France un secours, après avoir été un boulet. C’est assez mystérieux mais ça marche. Un éditoriali­ste américain enthousias­te enrôle même Brigitte dans cette épiphanie de la «civilisati­on française».

Avec 65% de majorité arrachés à la mauvaise humeur, le président Macron, capable de raconter les Lumières contre la tentation du noir, peut faire basculer son pays vers l’optimisme. Ce n’est pas encore fait. Il y avait peu de monde au Louvre pour le meeting de sa victoire et pas de grande foule sur les Champs-Elysées le jour de l’investitur­e. Si le pouvoir de raconter précède le pouvoir d’agir, il manque encore les actes à même de donner corps au projet. La question sociale, notamment, reste ouverte, béante, décisive pour la suite. Mais une direction est donnée et l’encouragem­ent internatio­nal, ce «ouf» qui est signalé aux Français, peut la renforcer.

La France, ainsi, joue son «rôle». Qu’est-ce que c’est, «le rôle de la France»? Exister. Participer. Contribuer. Rayonner. Rien d’autre que le rôle du Danemark, de l’Italie ou de la Suisse dès lors que l’empreinte de l’histoire est projetée dans le futur, toute nostalgie rentrée. C’est une tâche immense pour les dirigeants politiques de joindre le passé et le futur d’un pays dans des représenta­tions qui donnent un sens reconnaiss­able à son «rôle» d’aujourd’hui. Les soubresaut­s d’un souveraini­sme accroché à la mythificat­ion de l’histoire en attestent. Mais on lit dans la posture d’Emmanuel Macron le désir de remplir le vide de sens historique qu’a laissé le président Hollande.

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