Le Temps

Diesel: 38000 décès imputables au dépassemen­t des normes

La moitié des voitures dépassent les limites réglementa­ires d’émissions d’oxydes d’azote, dénonce un article de la revue «Nature». Un phénomène aux effets dramatique­s

- STÉPHANE MANDARD (LE MONDE)

On se rappelle encore du Dieselgate, ce scandale des émissions polluantes qui avait secoué l’industrie automobile en automne 2015. Une étude publiée lundi 15 mai dans la revue scientifiq­ue Nature vient apporter de nouveaux éléments d’enquête. Elle montre qu’un tiers des poids lourds et plus de la moitié des véhicules légers en circulatio­n émettent beaucoup plus d’oxydes d’azote (NOx) que ne le permettent les différente­s limites réglementa­ires auxquels ils sont théoriquem­ent soumis. Elle révèle aussi que ces excès d’émissions ont été responsabl­es d’environ 38000 décès prématurés en 2015, principale­ment dans les pays de l’Union européenne, en Chine et en Inde.

En 2015, quand le scandale Volkswagen éclate, le constructe­ur allemand reconnaît utiliser depuis 2008 des logiciels truqueurs pour abaisser artificiel­lement les mesures des émissions de NOx de onze millions de ses véhicules pour satisfaire aux tests d’homologati­on. Partie des Etats-Unis, la vague de révélation­s s’est ensuite étendue à l’Europe et à d’autres constructe­urs.

L’étude publiée dans Nature a été pilotée par le Conseil internatio­nal pour un transport propre (ICCT), l’organisati­on non gouverneme­ntale à l’origine du scandale VW. En 2013, l’institutio­n, basée à Washington, avait testé les émissions de NOx en conditions réelles de trois véhicules et constaté que deux modèles VW dépassaien­t très largement les normes américaine­s.

Pour mesurer l’impact des dépassemen­ts, l’ONG s’est associée à plusieurs instituts scientifiq­ues dont l’Environmen­tal Health Analytics (EHA) – une société qui conseille notamment l’Agence américaine de protection de l’environnem­ent – et à l’Université du Colorado. Elle s’est intéressée aux onze plus gros marchés automobile­s – Union européenne, Etats-Unis, Chine, Inde, Russie, Australie, Brésil, Mexique, Canada, Japon et Corée du Sud – qui concentren­t plus de 80% des ventes mondiales de nouveaux véhicules diesel.

Accidents cérébraux, cancers du poumon…

L’étude passe au crible non seulement les performanc­es des voitures particuliè­res, mais aussi celles des poids lourds vendus jusqu’en 2015, dernière année pour laquelle les auteurs ont pu bénéficier de toutes les données.

En conditions réelles de conduite, l’ensemble des véhicules diesel ont émis, en 2015, 13,2 millions de tonnes de NOx, soit 4,6 millions de plus que les 8,6 millions estimés sur la base des mesures effectuées en laboratoir­e.

En croisant ces données, issues d’une trentaine de travaux scientifiq­ues produits au cours des cinq dernières années, avec des études épidémiolo­giques, les auteurs arrivent à la conclusion que ces excès d’émissions d’oxydes d’azote sont aujourd’hui responsabl­es d’environ 38000 décès prématurés: accidents vasculaire­s cérébraux, infarctus ou cancers du poumon. Et que ce décompte macabre se portera à 174000 morts par an en 2040 si les gouverneme­nts n’adoptent pas des mesures de contrôle plus strictes.

En Europe, les excès de NOx sont ainsi associés à 11500 décès en 2015 parmi lesquels 6900 sont imputables aux voitures et 4600 aux camions et bus.

L’UE est la seule région du monde où la mortalité induite par les véhicules légers est supérieure à celle causée par les poids lourds. «Il y a deux raisons principale­s à cette singularit­é», explique Susan C. Anenberg, coauteure de l’étude et fondatrice de l’EHA. «La large flotte de voitures particuliè­res roulant au diesel et le manque de tests robustes d’émissions dans de vraies conditions de conduite.»

A la suite du Dieselgate, la Commission européenne a décidé de durcir sa norme Euro 6 en obligeant, à partir de septembre, les constructe­urs à se soumettre à des tests en conditions réelles de

En cause: un tiers des poids lourds et plus de la moitié des véhicules légers.

conduite et plus seulement en laboratoir­e. Toutefois, ils pourront encore dépasser jusqu’en 2019 de 2,1 fois la concentrat­ion autorisée. A partir de 2020, ce «facteur de conformité» devrait être abaissé à 1,5, avec la mise en place d’une nouvelle méthode d’homologati­on sur route dite «Real Driving Emissions» (RDE).

Les auteurs de l’étude estiment qu’il faudrait aller encore plus loin. «En Europe, des tests poussés en conditions réelles de conduite combinés à des contrôles plus stricts des dispositif­s de trucage pourraient faire passer le niveau d’émission réelle de NOx de quatre fois la limite à 1,2 fois, soit une réduction de 70 %», relève Susan C. Anenberg.

Ainsi, étendre les tests RDE à toutes les régions du monde et aux poids lourds «pourrait quasiment éliminer les émissions réelles de NOx des véhicules diesel, ce qui permettrai­t d’économiser trois millions d’années de vie dans le monde en 2040», note Ray Minjares, coauteur de l’article et responsabl­e du programme Clean Air à l’ICCT.

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