Le Temps

Après le Brexit, Jersey craint les attaques de Bruxelles

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Londres ne sera plus présent à Bruxelles pour défendre l’île Anglo-Normande face aux demandes de transparen­ce financière de l’Union européenne

De prime abord, le Brexit ne concerne pas Jersey. Contrairem­ent à Gibraltar, l’île Anglo-Normande n’a jamais fait partie de l’Union européenne (UE). La dépendance de la Couronne britanniqu­e a toujours conservé un statut de «pays tiers», légalement détaché. Et pourtant, ce mardi, la question du Royaume-Uni quittant l’UE revenait sans cesse lors de la conférence annuelle des gérants de fortune de Jersey Finance, le lobby du secteur financier de l’île.

Les quelque 500 participan­ts, réunis dans un grand hôtel de Londres, avaient une question existentie­lle: qui va désormais les défendre à Bruxelles, maintenant que le gouverneme­nt britanniqu­e ne sera plus à la table des négociatio­ns? Ou pour le dire comme James Quarmby, associé au cabinet Stephenson Harwood: «Qui va arrêter les idioties?» Lui observe les coups de boutoir de l’UE pour plus de transparen­ce et de réglementa­tion dans le secteur financier avec une vive inquiétude. «Qui va empêcher l’Allemagne et la France d’introduire de nouvelles réglementa­tions, ou de nous retirer le statut de pays tiers?»

Perte d’un allié

Sur ce point, les défenseurs des dépendance­s de la Couronne (Jersey, Guernesey, île de Man) font la même analyse que John Christense­n, l’un de leurs plus farouches opposants. Président de Tax Justice Network, une associatio­n qui lutte contre l’évasion fiscale, mais ayant lui-même grandi à Jersey et ayant été le conseiller économique de l’île dans les années 1990, il estime que Jersey et tous les territoire­s britanniqu­es d’outre-mer sont en train de perdre leur meilleur allié. «Pour eux, qui ont servi pendant des décennies de conduits secrets de l’argent sale venant de Londres, le retrait du Royaume-Uni de la table des négociatio­ns est une menace majeure.» En août 2016, quelques semaines après le vote en faveur du Brexit, il était sur place à Jersey. «L’une des principale­s inquiétude­s était déjà le risque d’une attaque de l’Union européenne.»

En particulie­r le système des trusts – structures financière­s opaques dont le nom des bénéficiai­res n’est pas dévoilé – pourrait à nouveau faire l’objet d’un assaut. Une idée récurrente, portée par les associatio­ns anti-évasion fiscale, est la mise en place d’un registre officiel des trusts, listant notamment leurs bénéficiai­res. «C’est une idée ridicule, portée par les djihadiste­s de la transparen­ce», tempête James Quarmby. Pour lui, la vie privée des gens serait mise en danger avec une telle exigence, qui étalerait leurs richesses aux yeux de tous. «Il faut que les administra­tions

Le secteur financier des îles Anglo-Normandes est inquiet des possibles coups de boutoir de Bruxelles pour plus de transparen­ce et de réglementa­tion, notamment autour de la question des trusts.

du monde entier puissent enquêter, et avoir accès aux données, mais il faut aussi que la vie privée des familles soit protégée», renchérit Jason Sharman, professeur à l’Université de Cambridge.

Geoff Cook, le directeur général de Jersey Finance, tempère pourtant les inquiétude­s liées au Brexit. «A Jersey, nous dépassons déjà largement le niveau des normes exigées par l’UE. Si le débat reste rationnel, il n’y a pas de raison que notre situation change.»

«Une opportunit­é fabuleuse»

D’autres estiment même que le Brexit peut présenter une chance. «Ça peut être une opportunit­é fabuleuse», estime Richard Hay, du cabinet d’avocats Stikeman Elliott. Selon lui, Londres pourrait être tenté par une stratégie de «Singapour sur Tamise», réduisant les régulation­s financière­s. «Dans le même temps, le Royaume-Uni va se tourner vers les dépendance­s de la Couronne, pour s’en rapprocher.» Il en veut pour preuve l’attitude de la première ministre, Theresa May, qu’il juge «plus pragmatiqu­e, moins idéologiqu­e» que son prédécesse­ur David Cameron. Et il conclut: «Le contexte politique va faire des vagues, mais nous sommes très forts pour surfer sur les grosses vagues.»

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(BERTRAND RIEGER/HEMIS.FR)

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