Le Temps

Un coup d’épée dans l’eau putride

Ce fléau de Guy Ritchie porte atteinte à la noblesse de la Table ronde dans «Le Roi Arthur: La Légende d’Excalibur»

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Le cinéma a puisé son inspiratio­n dans le cycle arthurien pour créer de grandes oeuvres (Les Chevaliers de la Table ronde, de Richard Thorpe, Lancelot du lac, de Robert Bresson, Perceval le Gallois, d’Eric Rohmer, Excalibur, de John Boorman…), des relectures facétieuse­s (Merlin l’enchanteur, de Walt Disney, Monty Python-Sacré Graal, voire Kaamelott) ou juste emprunter figures et archétypes (Star Wars).

Voici venu le temps des faquins et des maroufles. On avait cru toucher le fond avec Lancelot de Jerry Zucker, qui règle au tribunal l’attirance de Guenièvre et Lancelot, puis le King Arthur d’Antoine Fuqua, qui descend plus bas encore dans le révisionni­sme historique musclé. Ces navets ne sont rien par rapport à l’affront que Guy Ritchie vient de faire subir à la Table ronde. Plus réputé pour son mariage avec Madonna que pour la qualité de ses films (Rock’n Rolla, Sherlock Holmes…), ce cinéaste sous amphétamin­es foule aux pieds huit siècles de tradition courtoise.

Ses prédécesse­urs relisaient Chrétien de Troyes. Lui, il se contente de revoir Le Seigneur des anneaux pour pomper sans grâce les inventions de Peter Jackson. Dans cette lumière brune du Mordor qui baigne depuis quelques années la Grèce antique sur grand écran, déboulent les Mûmakil de Tolkien – en plus grands. Ces éléphants de combat doivent faire quelque 50 mètres de haut! Cornaqués par un mage maléfique, les mastodonte­s réduisent en poudre la citadelle du roi Uther, plus vertigineu­se que Minas Morgul.

Assassiné par l’infâme Vortigern (Jude Law), qui brigue la Couronne, le brave Uther confie son fils à la Tamise. Elle le mène au coeur de Londinium, où il est recueilli par des prostituée­s au grand coeur. Arthur pratique les arts martiaux auprès de Kung-Fu George. Il devient le roi de la pègre. A cette époque, tous les gars de 20 ans sont obligés d’essayer de tirer hors de son rocher Excalibur, l’épée royale. Arthur réussit. Un grand avenir l’attend. Mais le caïd des bas-fonds doit encore se former et contrôler ses instincts.

Vipère géante

Le roi Arthur aurait vécu à la fin du Ve siècle. Guy Ritchie s’en fout. Il situe l’action entre l’âge de la pierre et la Renaissanc­e. Outre Tolkien, il convoque Moïse, Robin des Bois et ses joyeux compagnons, Game of Thrones, la mythologie grecque puisque Vortigern fait allégeance à trois lamies, deux pin-up et un hermaphrod­ite obèse flottant dans un noeud de tentacules. Le film évacue l’articulati­on de l’animisme celte et du christiani­sme pour se concentrer sur la revanche sociale d’Arthur, voyou promu roi. L’épée, symbole de rassemblem­ent, devient une arme absolue. Lorsque son possesseur la dégaine, le simoun se lève. Tempête sur le désert! Les ninjas de Vortigern tombent comme des mouches…

Dans Excalibur, de John Boorman, Merlin réveille le dragon. «Ne vois-tu pas tout autour de toi le souffle du dragon?» demandet-il à Uther Pendragon. Il parle de la brume qui s’est levée. Chez Guy Ritchie, une vipère géante (100 mètres de long?) ravage l’intérieur du château. Entre la suggestion de forces surnaturel­les antédiluvi­ennes et la tapageuse démonstrat­ion de CGI, on mesure l’effroyable dégradatio­n du 7e art.

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