Un gouvernement en forme de pari
Les 22 ministres nommés mercredi illustrent la volonté de renouvellement d’Emmanuel Macron. Mais ce premier gouvernement du quinquennat témoigne aussi de la difficile recomposition du paysage politique
Il y a deux manières d’évaluer le premier gouvernement du quinquennat d’Emmanuel Macron. La première consiste à l’analyser au regard des promesses du candidat, grosso modo tenues. La parité hommesfemmes parmi les 22 ministres et secrétaires d’Etat est parfaite. Le nombre de portefeuilles a été nettement réduit. La moitié des ministres sont des nouveaux venus en politique. Trois sont trentenaires. Et seuls deux ministres sortants sont reconduits: le poids lourd socialiste Jean-Yves Le Drian, qui passe de la Défense aux Affaires étrangères, et la radicale de gauche Annick Girardin, qui passe de la Fonction publique à l’Outre-mer. Au vu de ces critères, le casting est donc assez réussi.
L’autre prisme d’évaluation est de juger le potentiel de renouvellement politique de cette équipe pilotée par le premier ministre de droite, Edouard Philippe. Or là, le jugement est plus nuancé. Si la nomination de Nicolas Hulot au Ministère de la transition écologique (lire ci-dessous) témoigne incontestablement d’une ouverture ambitieuse vers la société civile, les deux ministres de droite Bruno Le Maire (Economie) et Gérald Darmanin (Action et comptes publics, ce qui inclut le Budget, la Sécurité sociale et la Fonction publique) sont en revanche des personnalités marginales dans leur camp, donc pas aussi «explosives» qu’on pouvait le penser.
Le germanophone Le Maire, candidat à la primaire de la droite arrivé en cinquième position avec 2,4% des suffrages, est perçu comme un carriériste talentueux, plus guidé par son ambition que par le sens du collectif. L’élu nordiste Gérald Darmanin, fils d’un père harki algérien, est un ex-sarkozyste dont l’ancrage est avant tout régional, dans les Hauts-deFrance. Le ralliement de JeanPierre Raffarin, ou même de Nathalie Kosciusko-Morizet, aurait sans doute davantage déstabilisé la droite. Alors que, parallèlement, les nominations du maire PS de Lyon Gérard Collomb à l’Intérieur, du centriste François Bayrou à la Justice (il défendra très vite la loi sur la moralisation de la vie publique) et de l’ancien député socialiste Richard Ferrand à la Cohésion des territoires procèdent de la récompense politique. Ces trois hommes ayant, chacun, contribué à imposer Emmanuel Macron dans l’opinion et à lui dégager un nécessaire espace.
Peut-être faut-il donc procéder autrement pour avoir une idée juste de l’impact de ce premier gouvernement, à moins d’un mois des législatives des 11 et 18 juin. En s’interrogeant sur l’adéquation entre les compétences de chacun avec son ministère. Donc sur leurs chances d’imposer les réformes envisagées.
Or, vus ainsi, les changements sont plus éloquents. Nicolas Hulot, avocat passionné des énergies renouvelables, a incontestablement l’expertise et l’audience pour les promouvoir. Le nouveau ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, patron de l’école de commerce réputée Essec, a le bon profil pour recentrer la formation vers le marché de l’emploi et impliquer davantage les entreprises dans les filières. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ancienne directrice de l’Institut national du cancer, connaît son domaine. Le ministre de l’Agriculture, Jacques Mézard, sénateur du Cantal, est un spécialiste des dossiers paysans. L’escrimeuse et médaillée d’or olympique Laura Flessel, nommée aux Sports, a toute la légitimité nécessaire.
Le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, annonce la composition du premier gouvernement Macron.
Tandis que Mounir Mahjoubi, «geek» de l’équipe Macron nommé au Numérique, est un des meilleurs spécialistes français de la nouvelle économie. Pour ceux-là, la compétence et la capacité à connecter le gouvernement avec le secteur privé ne font pas de doute. Tous sont des experts, dans le bon sens du terme.
Quelle France, et surtout quel programme pour le début du quinquennat peut-on dès lors dessiner à partir de ce casting? Trois éléments apparaissent saillants. Le premier est l’engagement pro-européen de cette nouvelle équipe. Le Ministère des affaires étrangères est aussi celui de l’Europe. La ministre de la Défense, Sylvie Goulard, est une eurodéputée sortante, excellente connaisseuse des dossiers communautaires. Sa collègue du Parlement européen, Marielle de Sarnez, sera chargée des Relations avec l’UE. Au moins trois membres de ce gouvernement (Philippe, Le Maire, Goulard) parlent couramment la langue de Goethe.
Seconde leçon: l’économie, les finances – et donc les promesses budgétaires – sont aux mains de ministres de droite. On voit bien l’idée: désamorcer ainsi les attaques des conservateurs, et démontrer que droite et gauche peuvent s’entendre sur les dépenses publiques dans un pays où la dette atteint désormais 96% du PIB. Soit pas loin de la cote d’alarme. Dernier enseignement: la question sociale, clef pour obtenir le calme dans la rue et parvenir à négocier une flexibilisation du marché de l’emploi. Le portefeuille décisif du Travail est confié à Muriel Pénicaud, qui y fit une partie de sa carrière avant de diriger les ressources humaines du groupe Dassault, puis Danone.
C’est sur les épaules de cette dernière que va en partie reposer le début de ce quinquennat. Et la poursuite de l’aventure politique inédite née de la présidentielle, dont l’éditrice Françoise Nyssen, nommée ministre de la Culture (preuve de l’importance accordée à l’écrit et à la lecture par le président), pourra sans doute tirer un jour un livre.
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