La politique, un jeu à quatre
«Quadripolaire», le mot figure dans le dictionnaire, mais il ne sonne pas très bien. Il faudra pourtant s’y habituer car c’est lui qui décrit le mieux le paysage politique européen depuis l’éclatement de la crise économique mondiale.
Dans la plupart des pays qui nous entourent, on retrouve quatre courants politiques bien distincts. La droite classique néolibérale, la droite nationaliste, la social-démocratie et la «gauche de la gauche». La première prône les valeurs du libre-échange, de la dérégulation et du «moins d’Etat». La seconde, antieuropéenne, lutte contre les migrations et pour le retour aux valeurs traditionnelles. Elle est climatosceptique et hésite entre ultralibéralisme et protectionnisme. La social-démocratie combine la traditionnelle «économie sociale de marché» avec des valeurs sociétales libérales et protection de l’environnement. La «gauche de la gauche» partage avec elle ces derniers thèmes tout en s’affichant anticapitaliste.
Les programmes s’adaptent évidemment aux conditions locales et à la composition de l’électorat. Pour l’emporter, les partis font souvent le grand écart, tentant d’offrir un remix des thèmes porteurs de leur concurrent. Ils sont en outre confrontés à la difficulté d’offrir un projet cohérent parce que les clivages portent sur des thèmes de plus en plus diversifiés, sans qu’il soit possible de les lier en une véritable doctrine globalisante. A défaut, les partis s’efforcent de trouver le cocktail gagnant en se positionnant sur les différentes thématiques: migrations, changement climatique, valeurs sociétales, protectionnisme ou redistribution des revenus.
Tous les partis se trouvent aujourd’hui confrontés à la même problématique: ils peinent à réunir plus d’un tiers des électeurs. Bien souvent, l’alliance avec un parti cousin – en Allemagne, les Verts pour les sociaux-démocrates, le Parti libéral pour les démocrates-chrétiens – ne suffit plus. Pour gouverner, ils doivent donc former des coalitions étendues, au risque évidemment de perdre des électeurs, déçus par le fossé existant entre les promesses électorales et l’action gouvernementale. Ce risque est évidemment accru par la crise économique et l’instabilité géopolitique dans le monde. Ces dernières années, le taux d’échec des partis au pouvoir a été plutôt impressionnant.
Les principales forces politiques sont finalement toutes dans une position inconfortable. La droite nationaliste a réussi à imposer ses thèmes et à influencer le discours de ses concurrents, mais la concrétisation de sa politique passe par une rupture avec l’Europe, ce qui l’empêche d’accéder au pouvoir. La droite classique doit se résoudre à gouverner sans majorité parlementaire ou à faire une grande coalition avec les sociaux-démocrates.
Pour la gauche, la situation est plus délicate encore. La gauche plurielle a vécu. En Espagne, le Parti socialiste a préféré laisser les conservateurs gouverner que de s’allier avec Podemos; en Allemagne, l’alliance de gauche n’est pas à l’ordre du jour; en France, on voit mal qui pourrait vouloir gouverner avec les Insoumis de Mélenchon.
Les sociaux-démocrates subissent un recul quand ils participent à une grande coalition et ne sont plus perçus comme porteurs d’espoirs. La «gauche de la gauche» est confrontée pour sa part à un problème différent: elle ne prospère que dans l’opposition. Elle prend donc un grand risque à s’engager dans un gouvernement multicolore. En outre, rien ne démontre qu’arrivée au pouvoir, son action soit si différente d’une social-démocratie traditionnelle.
C’est en tout cas ce que démontre l’exemple grec. Syriza, à l’origine une coalition d’extrême gauche, a remplacé le Pasok, Parti socialiste corrompu et qui gouvernait traditionnellement avec le centre droit. On a beau chercher, on voit mal ce qui distingue l’action de ce parti, qui est à la peine dans les sondages, d’un Parti socialiste européen classique. Finalement, lorsque Mélenchon dit qu’il veut remplacer le PS, on peut peut-être le croire…
■