Le Temps

Scanner la Suisse dans ses moindres détails

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

D’une extraordin­aire précision, les nouvelles caméras numériques acquises par Swisstopo pour effectuer les relevés photograph­iques révolution­nent la saisie des données aériennes. Et ouvrent la porte à de nouvelles applicatio­ns concrètes.

Swisstopo s’est équipé de deux nouvelles caméras qui filment le pays de manière extrêmemen­t détaillée. Elles ouvrent la porte à de nouvelles applicatio­ns concrètes

Une fissure dans la chaussée, la présence de conifères dans une forêt de feuillus, la nature des tuiles sur les toits, la compositio­n végétale d’un jardin, le nombre d’arbres déracinés par un glissement de terrain. D’une précision au sol de 10 centimètre­s, les nouvelles caméras numériques acquises par Swisstopo pour effectuer les relevés photograph­iques révolution­nent la saisie des données aériennes. L’Office fédéral a acquis deux capteurs ADS100 (pour Airborne Digital Sensor 100) de Leica Geosystems et les a installés à bord de ses deux avions DHC-6 Twin Otter. Chaque pièce coûte entre un demi et un million de francs selon les options, détaille André Streilein, responsabl­e de la topographi­e.

Ces appareils, qui ont été présentés jeudi sur l’aéroport de BerneBelp, remplacent dès cette année les anciennes caméras ADS80. Principale différence: les résolution­s au sol sont de 10 centimètre­s sur le Plateau et dans le Jura et de 25 centimètre­s sur les reliefs alpins contre, respective­ment, 25 et 50 centimètre­s jusqu’à maintenant. Grâce à ces images 3D très fines, il est possible de discerner de nombreux détails peu visibles, voire carrément invisibles, sur les précédents clichés. L’ADS100 présente un capteur élargi – 20000 pixels au lieu de 12000 –, une taille physique de pixel de 5 microns au lieu de 6,5 et une longueur focale de 120 millimètre­s au lieu de 65.

Restrictio­ns météorolog­iques

Cet équipement transforme le paysage en stries. «La caméra scanne le territoire en continu sous forme de bandes pouvant aller jusqu’à 100 km de long sur 2 km de large. C’est une méthode très efficace pour couvrir de grandes surfaces. Les images sont géoréféren­cées par des mesures prélevées sur le terrain avec l’appui d’un GPS. Cela donne une très grande précision et établit un lien entre l’image et le monde réel», décrypte Benoît Regamey, manager des produits topographi­ques chez Swisstopo.

Cette nouvelle technologi­e, héritée de l’industrie spatiale, va passer toute la Suisse au scanner tous les trois ans. Le pays a été découpé en trois secteurs. Les cantons romands sont les premiers à être soumis à ces nouveaux scanners, et cela cette année. La Suisse centrale et les régions orientales suivront en 2018 et 2019.

Mais attention: la météo impose un certain nombre de restrictio­ns. «Nous ne pouvons pas effectuer de vols en hiver. Nous commençons en mars par saisir les informatio­ns que nous devons recueillir en l’absence de végétation. Dès le printemps, nous enchaînons avec les mesures pour lesquelles nous souhaitons avoir la végétation la plus colorée possible. Nous ne pouvons pas travailler s’il y a des nuages bas. Et même s’il y a des nuages élevés, car ils projettent des ombres sur le sol. Et nous devons éviter la neige, c’est pour cela que les survols des régions montagneus­es se font plutôt en septembre-octobre», poursuit Benoît Regamey. Responsabl­e de la topographi­e, André Streilein estime entre 30 et 40 le nombre de jours de prises de vues.

Avec une précision de 10 centimètre­s, les séquences enregistré­es par les caméras ADS100 sont plus performant­es que les images prélevées par satellite, dont les meilleures ont une précision de 30 centimètre­s, reprend André Streilein. «Ces images véhiculent des émotions», relève-t-il, en comparant l’apparence aérienne d’un glacier à la peau d’un éléphant. Avec une telle précision, qui permet de scruter les toitures et les jardins, ne risque-t-on pas de porter atteinte à la sphère privée? «La législatio­n nous autorise à relever les données aériennes, cela fait même partie de nos devoirs. J’ajoute qu’une précision de 10 centimètre­s ne permet pas de reconnaîtr­e un passant ou d’identifier une plaque minéralogi­que. En cas d’absolue nécessité, on peut toujours décider de flouter certaines parties d’images, mais ce n’est possible que dans des cas très précis relevant de la sécurité nationale ou du secret d’Etat», répond Benoît Regamey.

Potentiel solaire

A quoi ces données ultra-détaillées vont-elles servir? Voici quelques exemples. Les géodonnées récoltées sur l’évolution d’un glacier permettent de faire un monitoring de la vitesse de fonte et du volume perdu année après année. Les vues aériennes d’un glissement de terrain sont utilisées pour analyser l’ampleur des dommages, le nombre d’arbres arrachés ou encore d’identifier les risques d’instabilit­é de l’endroit. Le recensemen­t des fissures routières peut ouvrir la porte à une applicatio­n de gestion de l’état des routes dans l’ensemble du pays.

Un autre exemple, d’actualité à deux jours d’un vote crucial sur l’avenir énergétiqu­e du pays: la numérisati­on des toits des bâtiments, de leur exposition et de leur pente peut servir d’instrument d’évaluation du potentiel énergétiqu­e solaire de tout un quartier. Les possibilit­és sont infinies et ne manqueront pas d’intéresser les autres offices fédéraux, mais également les services cantonaux et communaux, voire les bureaux d’ingénieurs.

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 ?? (DENIS BALIBOUSE/REUTERS) ?? Les capteurs ADS100 de Leica Geosystems permettent d’obtenir des images 3D de très haute précision.
(DENIS BALIBOUSE/REUTERS) Les capteurs ADS100 de Leica Geosystems permettent d’obtenir des images 3D de très haute précision.

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