Le Temps

Le naufrage financier de la flotte suisse coûte cher au contribuab­le

- LISE BAILAT, BERNE @LiseBailat

Berne doit débourser 215 millions de francs pour la vente de 12 cargos qui bénéficiai­ent d’une garantie fédérale. Et ce n’est sans doute qu’un début

Trop de bateaux neufs, pas assez de marchandis­es et des prix de transport qui s’effondrent: le monde du fret maritime mondial vit une récession profonde. L’onde de choc atteint aujourd’hui la Suisse. Le Départemen­t de l’économie a annoncé jeudi que Berne avait déboursé 215 millions de francs pour éponger la vente, à perte, de 12 cargos appartenan­t à l’armateur Swiss Cargo Line. Les navires bénéficiai­ent d’une garantie fédérale, censée assurer leur disponibil­ité pour le transport de denrées vitales en cas de conflit. Un système datant de 1959, qui a connu une inflation depuis 2008: le nombre de navires sous pavillon suisse a doublé, en raison précisémen­t de la sécurité offerte par les cautionnem­ents.

Cette première dépense de 215 millions n’est peut-être qu’un début. Trente autres navires bénéficien­t encore du cautionnem­ent fédéral. Les armateurs suisses (le pays abrite des groupes importants, dont le géant MSC) ont refusé de venir au secours de Berne en reprenant une partie des risques ou en absorbant les flottes en détresse.

La question se pose désormais de savoir qui, à Berne, est responsabl­e des pertes. Le rôle de l’Office fédéral pour l’approvisio­nnement économique (OFAE) est pointé du doigt. L’OFAE aurait mal apprécié les risques induits par la politique de cautionnem­ent.

«Safmarine Anita», l’un des navires de la flotte helvétique.

Il en coûtera 215 millions de francs à la caisse fédérale pour liquider 13 navires des groupes SCL et SCT. Et ce pourrait n’être qu’un début

Ce n’était plus qu’une question de temps. Le Conseil fédéral a approuvé mercredi un crédit de 215 millions de francs afin d’éponger la vente à perte d’un quart de la flotte maritime suisse, à savoir 13 navires des groupes Swiss Cargo Line (SCL) et Swiss Chem Tankers (SCT). Dans la foulée, la Commission des finances du Conseil national a approuvé jeudi ce crédit par 13 voix contre 0 et 11 abstention­s. La commission du Conseil des Etats se prononce ce vendredi.

Depuis 2008, la situation ne cesse de se détériorer dans le secteur du fret maritime en raison notamment de surcapacit­és. Il y a en somme trop de navires pour la quantité de marchandis­es à acheminer. Une véritable bombe à retardemen­t pour la Confédérat­ion, sachant qu’elle octroie des crédits de cautionnem­ent à des armateurs suisses lors de l’achat de bateaux, en vertu de la loi sur l’approvisio­nnement du pays. Cette politique remonte à 1959. En cas de crise ou de guerre, les autorités peuvent réquisitio­nner ces cargos afin d’acheminer du riz, du blé, ou encore du pétrole jusqu’à la terre ferme.

Un risque à 770 millions

Quarante-neuf navires battent aujourd’hui pavillon suisse, dont 43 bénéficien­t d’un cautionnem­ent fédéral pour un montant de 770 millions de francs. De tels crédits ne sont utilisés qu’en cas de nécessité. Jusqu’à fin 2015, pas un centime n’a dû être versé. Mais en 2015, constatant les risques de la pratique, le Départemen­t fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) a tiré la sonnette d’alarme. Il a ordonné à l’Office fédéral pour l’approvisio­nnement économique (OFAE) de ne plus accorder de cautionnem­ent, sauf dans des cas exceptionn­els. En décembre dernier, il a aussi décidé de ne pas renouveler le crédit-cadre de cautionnem­ent.navires

Mais la situation du secteur maritime a encore empiré. L’an dernier, le départemen­t de Johann Schneider-Ammann a convié les armateurs suisses à une table ronde pour tenter de les amener à collaborer ou à rechercher des solutions communes. En vain, déplore le message du Conseil fédéral à l’intention du parlement.

Treize navires vendus à un acheteur étranger

Et ce qui devait arriver arriva. En manque de liquidités, face à des créances en souffrance, le groupe SCL, domicilié dans le canton de Schwyz, qui possède les sociétés Enzian Ship Management et SCT, s’est retrouvé au pied du mur. Il a vendu cette semaine ses 12 navires battant pavillon suisse à «un acheteur étranger», indique la société dans un communiqué rédigé par le prestigieu­x communican­t Hirzl. Neef. Schmid. Il annonce de prochaines suppressio­ns de postes à Zurich, d’une ampleur encore indétermin­ée. La situation d’un treizième navire de SCL a dû être réglée par la main fédérale, portant la facture à 215 millions de francs.

Jeudi, les élus de la Commission des finances ont approuvé ce crédit sans engouement. Juridiquem­ent, le parlement n’a pas le choix: «On ne peut pas se soustraire à ce paiement qui découle d’un cautionnem­ent, souligne la conseillèr­e nationale Ursula Schneider Schüttel (PS/ FR). Mais nous devons tirer les conclusion­s qui s’imposent.» Il reste en effet 36 bateaux dans la flotte suisse, dont 30 bénéficien­t d’une garantie de la Confédérat­ion. Le risque qu’ils aient à leur tour besoin d’une aide fédérale est réel. «Il faut non seulement ne plus renouveler le crédit-cadre de cautionnem­ent mais aussi accompagne­r les bateaux restants. Il y aura des directives à suivre», souligne Jacques Bourgeois (PLR/FR). Le Fribourgeo­is précise également que les 215 millions de francs seront puisés dans les soldes de crédit 2016.

Contrôle défaillant

La lecture du message du Conseil fédéral qui détaille le comporteme­nt des armateurs laisse sceptique quant à cet impératif de tirer les leçons de la crise. Mais le gouverneme­nt bat aussi sa coulpe. Le rôle de l’OFAE est pointé du doigt. Dans un rapport publié en février, le Contrôle fédéral des finances a épinglé les faiblesses de l’OFAE. Il note aussi que de 1999 à aujourd’hui, le nombre de bateaux battant pavillon suisse a plus que doublé. Et celui-ci n’a connu aucun fléchissem­ent de 2008 à aujourd’hui, malgré la crise qui touchait le secteur. Dans son message, la Confédérat­ion le reconnaît: «Les cautionnem­ents solidaires ont augmenté l’intérêt pour l’acquisitio­n de navires de haute mer par de mauvaises incitation­s.» Un cercle vicieux dont la facture arrive aujourd’hui.

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