Le Temps

L’enfant d’Izieu qui a échappé à Klaus Barbie

Samuel Pintel a failli être le 45e sur la liste mais il a échappé de justesse à la rafle ordonnée par Klaus Barbie à Izieu, non loin de la frontière suisse. Il se souvient, à l’heure où la France commémore les 30 ans du procès de l’ancien chef de la Gesta

- CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz­5

Il faillit être le 45e sur la liste. Mais heureuseme­nt, «ma mère, m’a brusquemen­t lâché la main et poussé vers une femme, la seule non-juive du groupe». Samuel Pintel a échappé de justesse à la rafle d’Izieu, non loin de la frontière suisse, où, sur ordre de Klaus Barbie, 44 enfants juifs ont été emmenés par les soldats allemands. Aujourd’hui âgé de 80 ans, de retour à la «colonie», ce survivant de l’horreur évoque ce douloureux souvenir, à l’heure où la France commémore les 30 ans du procès de l’ancien chef de la Gestapo de Lyon.

Ces enfants, s’ils avaient vécu, auraient à leur façon participé à la marche du monde. Ils (ou elles) auraient été fermiers, médecins, boulangers, ébénistes, pianistes virtuoses, ornitholog­ues, professeur­s des écoles, mères et pères de famille…

Parce qu’il a échappé de justesse à la rafle d’Izieu, Samuel Pintel (80 ans aujourd’hui) est devenu un brillant ingénieur en électroniq­ue. Il a travaillé dans le domaine astronomiq­ue et a participé à la mission Gaia que mène l’Agence spatiale européenne. «Le satellite Gaia tourne autour de la Terre depuis 2013 et a déjà inventorié et cartograph­ié un milliard d’étoiles de la galaxie» confie-t-il, l’oeil pétillant.

Dimanche 14 mai, Samuel Pintel est de retour à «la colonie», autrement dit la Maison d’Izieu, dans l’Ain. Site somptueux avec le Rhône en contrebas, la Grande Chartreuse au loin et, plus près, le dernier chaînon du Bugey. On commémore les 30 ans du procès «pour crimes contre l’humanité» de Klaus Barbie, l’ancien chef de la Gestapo de Lyon entre 1942 et 1944. C’est lui qui, le 6 avril 1944, envoya deux camions chercher au petit matin les 44 petits juifs, des orphelins pour la plupart, que l’OEuvre de secours aux enfants (OSE) avait placés dans ce home, à l’abri des persécutio­ns nazies, croyait-elle. Sept éducateurs furent aussi emmenés.

Tous furent envoyés au camp de Drancy, près de Paris, puis déportés à Auschwitz-Birkenau et gazés dès leur arrivée. La Maison d’Izieu est devenue le Mémorial des enfants juifs exterminés, inauguré le 24 avril 1994 par François Mitterrand, le président français de l’époque. La maison, ouverte au public, est restée dans l’état, avec le réfectoire, la salle de classe, les dortoirs. L’ancienne grange et une extension accueillen­t un vaste musée dédié à la mémoire de la Shoah et sa constructi­on ainsi qu’aux crimes contre l’humanité.

Symbole d’un temps révolu mais assumé et reconnu, Klaus Ranner, le consul général d’Allemagne à Lyon, a signé dimanche un chèque de 25000 euros en faveur du Mémorial et a présenté un livre réalisé par l’artiste Winfried Veit qui a dessiné au fusain les enfants d’Izieu à partir de photograph­ies. Le diplomate était entouré de Beate et Serge Klarsfeld, le célèbre couple chasseur de nazis à l’origine de la traque et de l’arrestatio­n en 1983 de Klaus Barbie en Bolivie puis de son extraditio­n vers la France. Présents aussi Alain Jakubowicz, l’avocat des parties civiles lors du procès Barbie, Annette Wieviorka, historienn­e de la Shoah, et Jacques Védrinne, l’un des trois psychiatre­s qui ont «expertisé» avant le procès celui qui était surnommé «le boucher de Lyon».

Assis parmi le public au côté de l’un de ses petits-fils, Samuel Pintel confie «avoir une dette de mémoire imprescrip­tible envers les 44 enfants d’Izieu, moi qui les connaissai­s tous et qui fus l’un des derniers à quitter en vie la colonie». Samuel est membre du conseil d’administra­tion et secrétaire général de l’associatio­n. Il prend souvent le train à Paris où il vit pour accueillir à Izieu les groupes scolaires et leur raconter ce que fut cette maison.

Annecy, zone italienne

Samuel est le fils unique de Jacob et Thérèse Pintel, deux juifs polonais émigrés à Paris en 1933. Engagé dès 1939 dans l’armée française pour défendre son pays d’accueil, Jacob est fait prisonnier et détenu dans un stalag près de Memmingen (Bavière). Thérèse, confrontée à la politique antijuive et de collaborat­ion avec l’occupant conduite par le gouverneme­nt de Vichy, confie son fils à l’Union générale des israélites de France (UGIF) et passe en février 1943 en zone libre. Elle est interpellé­e par la gendarmeri­e française parce qu’elle est une juive étrangère ayant passé la ligne de démarcatio­n en fraude. Elle est dirigée vers le camp de Douadic (Indre) où les conditions de vie sont rudes mais où elle n’est pas maltraitée car son mari est un prisonnier de guerre.

Elle réussit à faire venir son fils et est autorisée à rejoindre un autre centre d’assignatio­n à résidence à Annecy, en zone d’occupation italienne, où se trouvent déjà des juifs fichés par l’administra­tion mais qui ne sont pas persécutés. Mais en septembre 1943, après le retrait des troupes transalpin­es, les Allemands occupent la zone et raflent les juifs, qui sont transférés à Drancy via Annemasse puis envoyés dans les camps. Thérèse Pintel est déportée à Bergen-Belsen.

«Je dois la vie à ma mère qui, lors de la rafle des Allemands à l’Hôtel des Marquisats, m’a brusquemen­t lâché la main et poussé vers une femme, la seule non-juive du groupe. Celle-ci a été très courageuse car elle m’a conduit à Chambéry au bureau de l’UGIF. Ce geste pouvait la mener au peloton d’exécution. Plus tard, je l’ai cherchée mais ne l’ai jamais retrouvée», raconte Samuel Pintel.

Passage vers la Suisse

Miron Zlatin (qui mourra en déportatio­n), fondateur avec son épouse Sabine (qui a survécu à l’Holocauste) de la Maison d’Izieu, vient le chercher ainsi qu’un autre enfant, les assoit dans une carriole, monte sur son vélo et les tracte via le col de l’Epine jusqu’à la colonie, lieu de rassemblem­ent et de filière de passage des enfants juifs vers la Suisse. Un home où la vie se veut normale. Encadrés d’éducateurs, les enfants y sont scolarisés, se baignent dans le Rhône, vont cueillir les mûres.

Samuel se souvient d’Arnold Hirsch, 17 ans, le plus âgé, qui faisait régner l’ordre et le soir racontait des histoires. Il y a aussi Henri Goldberg, 13 ans, un titi parisien un peu gavroche, devenu à Izieu un petit cultivateu­r passionné. Et Liliane Gerenstein, 10 ans, qui, dans une lettre retrouvée, supplie Dieu de faire revivre ses parents encore une fois.

En février 1944, Samuel quitte la Maison d’Izieu parce que depuis Drancy sa mère arrive à entrer en contact avec les Bosselut, leurs voisins de palier à Paris, «des gens de modeste situation», se souvient Samuel. Il retrouve à Chambéry Jeanne Bosselut, venue le chercher, cela quelques jours avant la rafle de tout le personnel de l’UGIF par le SS Alois Brunner. Cela aussi deux mois avant l’ordre de rafle des enfants d’Izieu par Klaus Barbie. Les Bosselut vont prendre soin de Samuel et seront élevés au titre de «Justes parmi les nations». Samuel Pintel dit que leur fille Janine est devenue «comme une soeur».

Celui qui aurait pu être le 45e enfant de la liste Barbie est un miraculé. Il paraît aujourd’hui un homme apaisé, convaincu de la nécessité du devoir de mémoire qu’il exerce continuell­ement.

Izieu a aussi voté Le Pen

Au micro ce dimanche-là, Serge Klarsfeld, amer, a rappelé que 11 000 enfants juifs avaient été déportés de France et que 11 millions de Français avaient voté Marine Le Pen le 7 mai lors du second tour du scrutin présidenti­el. Le rapprochem­ent, qui n’engage que son auteur, a soulevé des applaudiss­ements. Le village d’Izieu a lui-même placé la candidate d’extrême droite en tête du premier tour. La fille de Jean-Marie Le Pen, le fondateur du Front national qui, en 1987, jugeait que les chambres à gaz étaient un point de détail de la Seconde Guerre mondiale et s’est toujours entouré de négationni­stes, a même devancé Emmanuel Macron au second tour dans le village voisin de Murs-et-Gélignieux.

«Beaucoup de Parisiens, de Lyonnais et d’étrangers se rendent au mémorial. J’ose expliquer ce vote par le sentiment de dépossessi­on qu’éprouve peutêtre la population locale, qui est très rurale. J’espère en tout cas que ce n’est pas de l’antisémiti­sme», commente Dominique Vidaud, le directeur de la Maison d’Izieu. Les relations entre le voisinage et la colonie étaient, durant l’Occupation, bonnes sans plus, une proche ferme fournissan­t notamment des légumes, du fromage, du vin et du bois. «Le village avait peur avant tout de représaill­es des Allemands à cause des enfants juifs cachés dans ce coin reculé, c’est pour cela que les contacts étaient plutôt rares», estime Samuel Pintel.

«Je dois la vie à ma mère qui, lors de la rafle des Allemands, m’a brusquemen­t lâché la main et poussé vers une femme, la seule non-juive du groupe»

SAMUEL PINTEL Samuel Pintel devant la maison d’Izieu, colonie de vacances dont il fut le seul rescapé. Les 44 autres enfants furent tous exterminés à Auschwitz. «Le village avait peur avant tout de représaill­es des Allemands» SAMUEL PINTEL

La question d’une éventuelle dénonciati­on se pose toujours. Des soupçons ont pesé sur un réfugié lorrain qui parlait l’allemand, et chez qui un enfant israélite de 14 ans avait été placé en échange de travaux aux champs. Sans preuve, il a été disculpé. Il a cependant déclaré en 1946 que des Allemands étaient venus l’interroger en mars 1944 au sujet du jeune israélite qu’il abritait. Il leur a alors dit qu’il provenait de la colonie d’Izieu. Samuel Pintel ne veut pas rentrer dans la polémique: «Lors de la rafle de l’UGIF à Chambéry, les Allemands avaient de toute manière pris possession de tous les documents et fichiers.»

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 ?? (AFP PHOTO) ?? Les enfants juifs d’Izieu photograph­iés peu avant leur déportatio­n en avril 1944.
(AFP PHOTO) Les enfants juifs d’Izieu photograph­iés peu avant leur déportatio­n en avril 1944.
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( MAISON D’IZIEU)

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