Quatre films et une polémique, échos d’une journée sur la Croisette
Le débat rebondit au sein du jury sur la Croisette entre Pedro Almodovar et Will Smith, divisés sur le statut des deux films produits par le géant américain du streaming
La polémique Netflix couvait depuis plusieurs semaines, elle a explosé au premier jour du Festival de Cannes. Et pour cause, le jury lui-même ne s’accorde pas sur le statut des deux longs-métrages en compétition produits par le géant américain du streaming. Si le président, Pedro Almodovar, s’est dit réticent à remettre une Palme d’or à un film qui ne sortira pas en salles, l’acteur Will Smith, lui, n’y voit pas d’inconvénient.
Le débat réactualise l’antagonisme tenace entre cinéma et télévision qui, au nom d’une hiérarchisation obsolète, cantonne le petit écran au divertissement de seconde zone. La sacro-sainte chronologie des médias en France qui fixe un délai de trois ans entre la diffusion en salles et l’exploitation par une chaîne TV vient compliquer la situation. A l’heure où Netflix draine plus de 100 millions d’abonnés et que la qualité des écrans comme des productions avoisine celle du cinéma, cette réglementation apparaît, pour beaucoup, dépassée.
L’irruption de Netflix sur la Croisette marque assurément un tournant. A l’origine de la discorde, deux films de réalisateurs renommés: Okja, du Sud-Coréen Bong Joon-ho, et The Meyerowitz Stories, par l’Américain Noah Baumbach. Mercredi lors de la conférence de presse inaugurale, deux visions du cinéma sont entrées en collision. Pour Pedro Almodovar, la taille de l’écran est cruciale. «Il faut avoir le sentiment d’être humble et petit par rapport au grand écran», estime-t-il. Autrement dit, voir un film est avant tout une expérience sensorielle et collective au sein d’un univers codifié. «Tout cela ne signifie pas que je suis opposé aux nouvelles technologies», s’est empressé d’ajouter le réalisateur espagnol.
De son côté, Will Smith prend ses enfants en exemple: «Netflix n’empêche pas les jeunes d’aller voir des films en salles. Il y a des films qu’ils préfèrent voir à la maison.» Le noeud du problème: le caractère universel du 7e art versus le côté «club de (nombreux) privilégiés» du géant des séries. Certes un billet de cinéma a un coût, tout comme l’abonnement à Netflix. Mais difficile de penser qu’un spectateur lambda accepte d’y souscrire uniquement pour visionner un film.
Sur Twitter, certains internautes ne semblent pas encore prêts à célébrer l’union du petit et du grand écran. «Netflix, sais-tu que la production télévisuelle est récompensée lors des Emmy Awards et non à Cannes, où sont honorés des films de cinéma!» attaque @jibepe76. D’autres, au contraire, refusent de les renvoyer dos à dos. «En accord avec #WillSmith: #Netflix ne nuit pas au cinéma. Il crée au contraire de nouveaux cinéphiles», estime par exemple @CinefilToulouse.
A l’arrivée, c’est la vocation même du festival qui est questionnée. Doit-il offrir une radiographie du film mondial ou servir de vitrine au cinéma dans sa stricte définition? «On a raison de défendre l’industrie du cinéma. Mais le Festival de Cannes n’est pas garant de notre industrie», a reconnu le réalisateur français Michel Hazanavicius sur le plateau de 28 Minutes, l’émission quotidienne de débat de la chaîne Arte.
Face aux pressions de tous bords, les organisateurs cannois ont modifié le règlement de la prochaine édition: seules les productions diffusées en salles pourront être sélectionnées. Une exclusion pure et simple qui pose un voile sur l’évolution des modes de consommation de l’image.
Alors que la polémique prend des allures de querelle entre les anciens et les modernes, le modèle semble condamné à se réinventer. Et plutôt que de croire qu’intégrer de nouveaux acteurs revient à se soumettre à la loi du marché et à tuer le cinéma, pourquoi ne pas penser avant tout en termes de contenu? Pour que le film, davantage que son support, prime.