Donald Trump dans les pas d’Abraham
Le président américain entame une tournée pour «réunir» les trois religions du Livre. Il va saisir l’occasion pour signer un gigantesque contrat d’armement avec l’Arabie saoudite
Le président américain descendant d’Air Force One sur la base d’Andrews, dans le Maryland. «On assiste à un renforcement des alliances traditionnelles, les pays du Golfe et Israël» CLÉMENT THERME, CHERCHEUR À L’INSTITUT INTERNATIONAL D’ÉTUDES STRATÉGIQUES DE LONDRES (IISS)
Les Israéliens ont un mot pour décrire le chaos, la pagaille, le fiasco. Ce mot, c’est balagan, et il est en vogue ces derniers jours dans le pays. La visite de «Mr Balagan», alias Donald Trump, semble promettre une liste inépuisable de possibilités de pataquès. Les fuites sensibles qu’a transmises le président américain aux Russes et qui provenaient d’informations des services secrets israéliens? Elles ne font que renforcer les craintes dans une région, le Moyen-Orient, fragile comme un château de cartes, et prête à s’embraser à la moindre occasion.
Cette première sortie du président Trump du territoire américain est pourtant guidée par la plus louable des intentions, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de renouer avec… la tradition d’Abraham, en tirant un trait d’union entre les trois religions du Livre. L’Arabie saoudite, lieu de naissance de l’islam; puis Jérusalem, berceau du judaïsme; puis le Vatican, où le président rencontrera le pape François en milieu de semaine prochaine (il se rendra aussi, ensuite, à Bruxelles et en Sicile). «Ce que le président Trump cherche à faire, c’est d’unir les peuples de toutes les fois autour d’une vision commune de paix, de progrès et de prospérité», a dévoilé un responsable de l’administration américaine.
«Pas si difficile»
Cette position de rassembleur des peuples d’Abraham permettra peut-être de relativiser les faux pas de «Mr Balagan». En attendant sa venue, les responsables israéliens ne savent pas encore si l’administration actuelle considère que le mur des Lamentations est «situé en Israël». Un proche de Trump affirmait le contraire il y a quelques jours. Depuis lors, cela n’a pas été démenti de manière officielle.
Cette tournée devrait aussi conduire le milliardaire américain sur le lieu de naissance de Jésus, à Bethléem, pour être accueilli par le président palestinien Mahmoud Abbas. Une même vision abrahamique pourrait prédominer. La résolution du conflit israélo-palestinien? «Franchement, je ne crois pas que ce soit aussi difficile que beaucoup de gens le pensent», disait récemment Donald Trump en accueillant à Washington le même Mahmoud Abbas.
Si le passage en Terre sainte risque d’être le plus acrobatique, il sera néanmoins précédé d’une autre étape potentiellement explosive, qui verra Donald Trump poser le pied en Arabie saoudite ce weekend. Voilà des mois que les responsables saoudiens préparent activement cette visite: le président américain n’était pas même intronisé que Mohammed bin Salmane, fils du roi et second dans la ligne de succession au trône saoudien, rencontrait le gendre de Donald Trump, Jared Kushner. Entretemps, un autre fils du roi Salmane a été nommé ambassadeur à Washington.
L’empressement de Riyad s’explique. Il s’agit, pour la monarchie du Golfe, de fermer au plus vite la «parenthèse» qu’a représentée la présidence de Barack Obama. «Obama avait tenté d’établir une sorte d’équidistance entre les monarchies du Golfe et l’Iran, rappelle Clément Therme, chercheur à l’Institut international d’études stratégiques de Londres (IISS). Aujourd’hui, on assiste à un renforcement des alliances traditionnelles, les pays du Golfe et Israël, comme le suggèrent les deux premières étapes de cette tournée.»
L’Arabie saoudite n’a pas lésiné sur les moyens pour consolider ce nouveau départ. Dimanche, le royaume a organisé un «sommet islamo-américain» qui devrait réunir 55 dirigeants et représentants du monde musulman. Sur le plan symbolique: Donald Trump doit délivrer à cette assistance sa «vision de l’Islam». Une manière à peine déguisée de répondre au discours prononcé par Obama au Caire en 2009 et considéré comme l’un des plus aboutis du président démocrate.
Mais l’étape saoudienne dépassera largement le plan du symbole. Washington et Riyad devraient ainsi dévoiler un gigantesque contrat d’armement qui pourrait dépasser les 100 milliards de dollars. En comparaison, en huit ans l’administration Obama avait signé avec Riyad des contrats d’armement à hauteur de 120 milliards. En échange de cet accord, grâce auquel Donald Trump pourra s’enorgueillir de la création de nombreux emplois aux Etats-Unis? La presse américaine évoque la possible création d’un «OTAN arabe», une alliance commune qui ferait notamment face à la menace iranienne. Une idée déjà ancienne, mais qui s’était toujours opposée aux réticences des Américains.
«Donald Trump a donné la preuve qu’il s’en remet souvent à l’avis des militaires. Il n’est pas étonnant que ce penchant l’amène dans cette direction, aux côtés des pays du Golfe», affirme Clément Therme. De fait, ce prisme très hostile à l’Iran est clairement visible à Washington. Récemment, le général Joseph Votel, responsable du Commandement central des EtatsUnis (CENTCOM), désignait les «activités maléfiques» de l’Iran comme l’une des principales menaces pour la stabilité mondiale.
Coïncidence iranienne
Ironie du calendrier, cette tournée «abrahamico-diplomatico-militaire» coïncide avec le premier tour de l’élection présidentielle iranienne, ce vendredi. Les relations avec les Etats-Unis, et plus particulièrement les suites de l’accord sur le nucléaire iranien, étaient au centre de la campagne. «La signature de cet accord n’a pas été suivie de retombées concrètes pour la population, même si, selon l’AIEA, les Iraniens respectent pleinement leur partie du contrat», note Amélie Chelly, sociologue spécialiste de l’Iran*. Selon elle, c’est sur cela que jouent les conservateurs. «Pour eux, comme on l’entend dans les rues de Téhéran, Hillary Clinton, c’était l’Amérique avec le maquillage. Aujourd’hui, avec Trump, l’Amérique s’est démaquillée.»