Le président du Brésil pris en flagrant délit
Michel Temer a été enregistré en train d’approuver un acte de corruption. Ses projets de réforme sont menacés
Après Dilma Rousseff dont il était le vice-président, Michel Temer vacille à son tour. Le chef de l’Etat, du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), aurait tenté de faire obstacle au travail de la justice dans l’enquête dite du «Lava Jato» («lavage express») qui a mis à nu la promiscuité entre le pouvoir politique et les lobbies économiques. Mercredi 17 mai, le quotidien O Globo a révélé l’existence d’enregistrements «accablants», effectués par Joesley Batista, patron du groupe JBS, le plus grand producteur mondial de viande. Mis en cause dans l’affaire, Batista a décidé de collaborer avec la justice.
Le 7 mars 2017 au soir, le voilà donc qui entre, un enregistreur dans sa poche, dans la résidence officielle du chef de l’Etat. Il vient informer Michel Temer qu’il «achète le silence» d’Eduardo Cunha, l’ex-président de la Chambre inculpé dans le cadre de Lava Jato. «Il faut continuer, OK?», aurait alors réagi le président. Depuis l’arrestation de Cunha, l’an dernier, la classe politique, et en particulier son vieil allié Temer, tremble à la perspective qu’il décide, comme d’autres, de faire des révélations compromettantes.
Très impopulaire
Pour certains, Temer, dont l’éventuel départ affole les marchés, ne sera pas forcément acculé à démissionner malgré la gravité inédite des accusations. «En raison de la crise économique, il y a une grande tolérance envers lui, écrit le politologue Carlos Melo. Au Brésil, une conciliation est toujours possible.» Il n’empêche: des manifestations sont prévues ce dimanche pour demander le départ du chef de l’Etat. Et l’empire médiatique Globo, faiseur de roi au Brésil, lui a retiré son soutien. «Temer n’est plus en mesure de gouverner», résumait le commentateur Merval Perreira, sur la chaîne GloboNews.
Jusqu’ici, le très impopulaire président s’est appuyé sur les milieux d’affaires, qui plébiscitent sa politique de rigueur et son projet de réforme du régime des retraites et du code du travail, présentés comme cruciaux pour relancer l’économie. Mais l’adoption de telles réformes, rejetées par une majorité de Brésiliens, est désormais compromise. Le rapporteur de la réforme du code du travail, qui doit encore passer par l’examen du Sénat, a d’ailleurs aussitôt suspendu les travaux.
Nul ne sait si la majorité présidentielle, dont de nombreux membres sont eux-mêmes en cause dans le scandale, survivra à ce nouveau «cataclysme». Le principal allié de Michel Temer, le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, centre droit), serait tenté de rompre avec lui à la suite de la mise en cause de son propre président, Aécio Neves, candidat malheureux face à Dilma Rousseff en 2014. Neves a lui aussi été enregistré par Joesley Batista, à qui il demandait 2 millions de reals (près de 640000 francs).
Autre inconnue: que fera le Tribunal supérieur électoral (TSE) qui doit décider, le 6 juin, s’il invalide ou non la réélection du ticket Rousseff – Temer réélu en 2014? Jusqu’ici, les membres du TSE (sorte de commission électorale permanente) étaient tentés de fermer les yeux sur les indices de financement illégal de leur campagne pour épargner au pays un nouveau cycle d’instabilité. Or, il n’est plus certain que cette tendance continuera à prévaloir.
PRÉSIDENT DU BRÉSIL «Il faut continuer. OK?»
Sauver les meubles
Selon la chroniqueuse Cristiana Lobo, Temer pourrait être pressé par son propre camp de démissionner, pour sauver les meubles. Ce qui «serait une manière de garder le pouvoir». En cas de vacance, dans un délai de deux ans précédant l’échéance électorale, c’est le Congrès, dominé par les conservateurs, qui devrait élire un nouveau président. L’idée serait de prendre de vitesse la gauche qui pousse en faveur d’un amendement constitutionnel permettant l’anticipation de la présidentielle de 2018. Car, selon les sondages, c’est l’ancien président Lula qui l’emporterait alors. Un Lula impliqué lui aussi dans Lava Jato…
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