Vers une forme de délégation ascendante?
Que se passerait-il si les organisations s’affranchissaient de l’unidirectionnalité de la notion de délégation? En d’autres termes, serait-il envisageable que les collaborateurs puissent un jour légitimement déléguer une tâche à leur direction? Dans ce cas, s’agirait-il davantage d’un appel à une nouvelle manière de penser la hiérarchie ou plutôt de l’application de vieilles ruses pour contrer les velléités autoritaires des couches décisionnelles supérieures?
La littérature présente l’art de déléguer comme «la clé d’un management réussi». La délégation aurait vertu de donner confiance, de permettre à chacun d’exprimer sa compétence, d’être un soutien dynamique à la motivation.
Or, dans un monde défini comme de plus en plus agile et «libéré» des structures hiérarchiques, n’est-il pas possible de concevoir une forme de délégation bottom-up (ascendante)? Cela, d’autant plus que les habitudes des nouveaux entrants sur le marché du travail vont dans le sens d’une remise en question de l’autorité et de ses prérogatives et que, techniquement, la définition de la notion de délégation pourrait s’y prêter, puisqu’il s’agit de confier une partie de son pouvoir à une tierce partie afin de remplir une mission – il n’est pas précisé que ladite tierce partie doit forcément se trouver à un niveau hiérarchique inférieur.
On pourrait donc imaginer que la responsabilité d’une action, si celle-ci est exigée par la nécessité du terrain, excède les compétences de l’entité la plus proche qui devrait s’en occuper et qu’il faille ainsi la reporter à un échelon supérieur. Cela reviendrait à fonder le principe d’une délégation ascendante. L’avantage en serait de ne pas déconnecter la prise de décision managériale des collaborateurs qui devront la respecter, et de faire remonter une décision jusqu’au niveau hiérarchique pertinent pour la traiter. Sauf que, dans ce cas-là, on ne parlerait pas de délégation ascendante, mais de subsidiarité ou de fédéralisme. Et la subsidiarité peut trouver son sens à l’échelle d’une action publique ou dans un contexte supranational, mais elle n’est pas prévue pour être appliquée dans les entreprises. Ou, en tout cas, les modalités d’application n’en sont pas encore pensées. Il ne faut pas se leurrer.
Lorsque l’on parle de délégation dans une organisation, il s’agit d’abord de partager un pouvoir, et cela se fait essentiellement vers le bas. Certaines manières sont plus habiles que d’autres pour opérer ce partage, mais il est illusoire de penser qu’il pourrait simplement se défausser vers le haut. Parler de délégation ascendante dans une entreprise revient davantage à mettre le doigt sur une compréhension poreuse et problématique des structures hiérarchiques, peut-être ellesmêmes insuffisamment définies, qu’à trouver de nouvelles manières de penser le management.
En revanche, poser la question d’une forme de délégation ascendante questionne la notion de délégation ellemême: est-elle toujours viable dans le monde de plus en plus agile, de plus en plus «libéré» des structures hiérarchiques qui nous est présenté? Est-elle compatible avec la manière de considérer l’entreprise des nouvelles générations de travailleurs, qui semblent avoir de plus en plus de peine à déchiffrer la dimension autoritaire de certaines relations? Il est difficile de trouver de bons exemples d’une délégation ascendante réussie. S’ils existent, ils ne sont pas proposés dans une perspective de généralisation.
Pourtant, l’idée n’est pas si absurde. Elle pose en tout cas des questions légitimes sur la notion de délégation, qui semble plus que jamais confiner à un art, dont les rouages subtils méritent d’être finement décodés, et qui repose intégralement sur un pouvoir qui est peut-être appelé à se perdre dans des nuances de gris…
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