Le Temps

Deux enfants, deux époques, un même destin

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Todd Haynes raconte dans «Wonderstru­ck» l’histoire de Rose et Ben, qui, à cinquante ans d’écart, cherchent à comprendre qui ils sont vraiment

On connaît le goût de l'Américain Todd Haynes pour la culture pop. En 1998, il s'inspirait de manière très libre, dans le flamboyant Velvet Goldmine, d'une partie de la vie de David Bowie, lorsqu'au début des années 1970 le Londonien inventait au côté de Marc Bolan le glam-rock tout en frayant avec Iggy Pop. Puis, en 2006, il proposait dans I’m Not There un portrait impression­niste et très personnel de Bob Dylan, dans lequel le barde newyorkais était incarné par six comédien(ne)s différents.

Mélodrame

On connaît aussi l'amour que porte Todd Haynes au mélodrame, genre clé de l'âge d'or d'Hollywood auquel il a donné, dans le sillage de Douglas Sirk, deux oeuvres majeures: Loin du paradis (2002) et Carol (2015), qui racontaien­t dans les Etats-Unis puritains des années 1950, dans le Connecticu­t pour le premier et à New York pour le second, la difficulté de vivre son homosexual­ité. Après Velvet Goldmine et Carol, Wonderstru­ck est son troisième long métrage a concourir pour la Palme d'or. Dès sa première séquence, qui montre le rêve d'un gamin poursuivi par une meute de loups, on est frappé par l'utilisatio­n de ralentis et d'images floues.

La suite le confirmera: le réalisateu­r rompt avec son goût pour un classicism­e élégant. Comme il s'éloigne de l'ancrage social fort de son cinéma pour mettre en scène un récit initiatiqu­e dont les protagonis­tes sont deux enfants. Wonderstru­ck est d'ailleurs adapté d'un roman de Brian Selznick, écrivain qui avait inspiré à Martin Scorsese son beau Hugo Cabret.

Deux destins liés

Ben a 12 ans, sa mère est morte et il n'a jamais connu son père. A la suite d'un accident qui lui fait perdre l'ouïe, le voilà qui fugue pour, loin de son Minnesota natal, tenter de retrouver son père à New York. Rose a le même âge. Sourde de naissance, délaissée par son père, la voici qui quitte le domicile familial pour partir à la rencontre, à New York, d'une star du cinéma. Construit autour de ces deux histoires racontées en parallèle à travers un montage alterné d'une belle vivacité, le film se déroule également entre deux époques: Ben grandit dans le Minnesota de 1977, tandis que Rose vit dans le New Jersey de 1927. Cinquante ans séparent les deux gosses, mais il ne fait dès le départ aucun doute que leurs destins sont d'une manière ou d'une autre liés.

Le cinéma de Haynes s'est toujours distingué par le soin particulie­r apporté aux reconstitu­tions historique­s et à l'utilisatio­n de la musique. Ici, il se fait plaisir en opposant un récit en noir et blanc, muet et porté par une partition tout en cordes mélancoliq­ues, et un autre aux teintes brun-jaune so seventies et déroulant une bande-son entre funk, jazz et rock.

Alors oui, avouons-le, Wonderstru­ck flirte avec le kitsch et le sentimenta­lisme, déroule une narration qui n'a pour but que la grande émotion finale. Mais il fonctionne parfaiteme­nt et, dans le sillage de ce qu'ont pu faire Steven Spielberg ou plus récemment Jeff Nichols, se présente comme un beau film sur l'imaginaire et l'enfance – un film qui, aussi, transpire l'amour du cinéma et du romanesque.

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