Une cantate pour Jeanne Balibar

Dans «Barbara», Mathieu Amalric dirige son ancienne compagne. Elle incarne avec fougue et sensualité la chanteuse de «L’Aigle noir»

Barbara nous a quittés il y a vingt ans. Elle nous hante encore et Mathieu Amalric, à peine sorti des Fantômes d’Ismaël, passe derrière la caméra pour invoquer l'esprit de la longue dame brune. Un biopic? Non, un essai poétique radical, émouvant et amusant.

La longue et brune Jeanne Balibar interprète Brigitte, une comédienne engagée pour tenir le rôle de la chanteuse dans un film réalisé par Yves Zand (Mathieu Amalric), un vieux petit garçon qui ne s'est jamais remis de ces chansons sonnant «comme une berceuse que ma mère ne m'aurait pas chantée». Le décor est installé, le piano noir trône au milieu du salon, Jeanne-Brigitte s'est mise au clavier. Du bout des doigts, du bout du coeur, elle aligne des arpèges dont émergent les réminiscences de mélodies chéries. Sa mère vient quémander un peu d'argent. Au moment où l'incrédulité est suspendue, «coupez!». La scène est bonne. Le film ne cessera de brouiller les niveaux de réalité en procédant à des mises en abyme que n'aurait pas reniées Fellini.

Barbara raconte l'histoire d'une métamorphose. Jeanne Balibar entre dans le costume de la chanteuse, adopte sa gestuelle, emprunte sa voix. Elle est belle et fantasque, intense et lunatique, drôle et angoissée, maniaque, colérique, sensuelle – voir sa main glisser le long du corps quand elle chante «La petite fille et le Père Noël» de Brassens. Au milieu du film, l'actrice et son modèle semblent fusionner avec le recours à un faux nez aquilin. Des archives entretiennent le doute. C'est sans importance, nous avons déjà succombé aux envoûtements de cette chimère qu'est la Balibarbara.

Avec une intelligence exceptionnelle, Amalric ne s'appesantit jamais. Au lieu de célébrer la gloire de «L'Aigle noir» sur scène, il montre un pilier de bar sangloter en entendant la chanson à la télévision. Tout est dit.

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