Le Temps

Motocyclis­me

Thomas Lüthi intègre la MotoGP et entre dans la cour des très grands

- BRICE CHENEVAL @ChenevalBr­ice

Le pilote bernois évoluera en MotoGP la saison prochaine. Déjà trentenair­e, il va découvrir le plus haut niveau sur le tard, après un titre mondial précoce en 125 cm³ et des années de patience dans l’antichambr­e de l’élite

En 1998, Thomas Lüthi a 12 ans. Il n'est encore qu'un enfant passionné de moto de course, dévorant à la télévision les grands prix de 500 cm³, la catégorie reine. Cette année-là, l'Australien Michael Doohan remporte le championna­t du monde pour la cinquième fois consécutiv­e. La future légende Valentino Rossi fourbit ses armes dans la catégorie inférieure. Et le Zurichois Eskil Suter est le premier représenta­nt suisse au plus haut niveau depuis 1979. Il n'y restera qu'une seule année. Son successeur se fera attendre durant vingt ans.

Après dix ans dans la catégorie intermédia­ire du championna­t du monde de motocyclis­me, qui s'appelle aujourd'hui Moto2, Thomas Lüthi est sur le point d'entrer en MotoGP. Révélée mercredi par Le Matin, l'informatio­n devrait être officialis­ée jeudi à Silverston­e, où se déroulera le Grand Prix de Grande-Bretagne ce week-end. Le Bernois s'est engagé avec l'écurie belge Marc VDS et disposera d'une Honda RC 213V. Il deviendra le onzième Suisse à découvrir l'élite.

Top 6 depuis 2010

«C'est magnifique, se réjouit Bernard Jonzier, ancien commentate­ur pour la télévision romande et proche de Thomas Lüthi. Il va réaliser son rêve d'enfant et il le mérite. Il a beaucoup travaillé pour y arriver, il ne s'est jamais plaint et a toujours été loyal avec ses sponsors, parce qu'il aurait pu partir dans d'autres équipes. C'est l'aboutissem­ent de tous ses sacrifices.»

Pour le Suisse, il s'agit surtout d'une opportunit­é à ne pas rater. Dans un sport où les meilleurs intègrent très jeunes le haut niveau, Thomas Lüthi (30 ans) fait figure d'exception. «C'était le dernier moment pour lui. Il s'est révélé plus tard que les autres. Il n'y a qu'à voir Marc Marquez, triple champion du monde, qui est arrivé en MotoGP à 20 ans», souligne Bastien Chesaux, ancien pilote vaudois dans la catégorie 250 cm³, où il a côtoyé son compatriot­e en 2009. «Thomas n'est pas encore usé, il est aussi motivé que lors de ses plus jeunes années, confie Bernard Jonzier. Mais s'il avait attendu plus longtemps, les portes auraient fini par se refermer.»

Un début de carrière à la Roger Federer

Le Bernois a pourtant commencé tôt sa carrière en 125 cm³, le troisième échelon, en 2002, à l'âge de 16 ans. Trois ans plus tard, il est sacré champion du monde, une première pour un Suisse depuis Luigi Taveri en 1966. Bernard Jonzier en a encore la voix qui frétille. «Jamais je n'aurais imaginé un jour commenter le sacre mondial d'un pilote suisse, se remémore l'ex-Monsieur Moto. Dans notre pays, le marché des sports mécaniques est petit, il n'y a pas de gros sponsors, ni de circuits. C'est comme si une équipe de football était championne du monde sans avoir de terrain où s'entraîner.»

Avec ce titre, Thomas Lüthi se forge une solide réputation dans le milieu et une belle popularité en Suisse. Ses débuts étaient ceux d'un Roger Federer de la moto, la suite de son parcours en a plutôt fait un Stan Wawrinka, cheminant tranquille­ment vers le sommet.

En 2007, il accède à l'antichambr­e de l'élite. Les trois premières années sont prometteus­es: successive­ment huitième, onzième et septième, le natif d'Oberdiessb­ach se stabilise dans le premier tiers du classement. En 2010, la catégorie est rebaptisée Moto2. Les moteurs deux temps de 250 cm³, utilisés jusqu'ici, sont remplacées par des 600 cm³ quatre temps. Loin d'être freiné par ce changement, Thomas Lüthi franchit un nouveau palier et s'impose comme l'un des meilleurs pilotes.

Depuis six ans, il n'est jamais sorti du top 6: trois fois quatrième (2010, 2012, 2014), deux fois cinquième (2011, 2015), une fois sixième (2013). L'an dernier, il échoue sur la deuxième marche du podium. Cette saison, il est toujours en course pour décrocher le titre. Ironie de l'histoire: son principal concurrent, l'Italien Franco Morbidelli, vient d'être recruté par le team Marc VDS et sera son coéquipier en MotoGP la saison prochaine…

Titiller le top 5

Quinze ans après ses débuts, il s'apprête donc à découvrir le plus haut niveau. «C'est un gros défi, dans la catégorie la plus prestigieu­se et la plus difficile. Il va repartir de zéro: les références sont différente­s, la mécanique n'est pas la même», prévient Bernard Jonzier. «D'habitude, les pilotes ne restent que deux à quatre ans en Moto2, poursuit Bastien Cheseaux. Lui y a accumulé suffisamme­nt d'expérience, il est prêt. S'il garde le même staff, sa promotion ne devrait pas le déstabilis­er. La grande différence se situe au niveau de la mécanique: en Moto2, tous les pilotes ont le même moteur mais en MotoGP, il y a de grands écarts selon les teams.»

Les deux spécialist­es ne voient pas le Suisse faire de la figuration, mais prévoient un temps d'adaptation. «S'il s'approche du top 10 dès sa première saison, ce sera déjà bien, estime l'ancien commentate­ur. Il a les capacités pour aller titiller le top 5 par la suite. Tout dépendra de sa progressio­n et de sa future équipe.»

Son chouchou n'a jamais été aussi proche de réaliser ses rêves d'ado, dont se souvient parfaiteme­nt Bernard Jonzier: «A 14 ans, il disait qu'il serait un jour en MotoGP, dans les trois premiers, et qu'il accorderai­t des interviews…» Le petit Thomas en a parcouru, du chemin, depuis.

«Thomas n’est pas encore usé. Mais s’il avait attendu plus longtemps, les portes auraient fini par se refermer»

BASTIEN CHESAUX, ANCIEN PILOTE VAUDOIS

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