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Athlétisme

De la piste au marathon, les trajectoir­es futures de Mo Farah

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Après Usain Bolt, Mo Farah. Moins de deux semaines après la dernière course de la star jamaïcaine du sprint, l'athlétisme s'apprête à perdre une autre de ses icônes majeures du XXIe siècle. Le spécialist­e britanniqu­e du demifond a participé à un dernier grand rendez-vous lors des championna­ts du monde de Londres, à un dernier meeting en Angleterre lors de l'étape de la Diamond League de Birmingham et il a choisi la Weltklasse de Zurich pour son ultime épreuve sur piste. Dans un Letzigrund à guichets fermés et devant 25000 spectateur­s, il disputera ce jeudi le 5000 mètres. Puis Mo disparaîtr­a.

L'athlète ne cessera pas de courir: il se consacrera aux épreuves sur route, le marathon en ligne de mire. Mais il entend s'y illustrer sous son prénom complet, Mohamed. «J'ai juste l'impression que Mo, c'est terminé. J'ai besoin de me distancer de ce que j'ai réalisé, de ce que j'ai fait», a-t-il expliqué lors des Mondiaux de Londres.

De pesants soupçons

Le nom d'une personnali­té publique est sa marque déposée. En changer n'est jamais un acte anodin. Serge Gainsbourg est devenu Gainsbarre pour marquer le glissement de son personnage vers la provocatio­n, le monde de la nuit et des excès. Cat Stevens chante sous le nom de Yusuf Islam depuis sa conversion. Romain Gary a signé La vie devant soi du pseudonyme d'Emile Ajar afin de vérifier si son travail pouvait se passer de sa renommée pour séduire critiques et public.

En abandonnan­t le diminutif qu'il a utilisé tout au long de sa carrière sur piste, Mohamed Muktar Jama Farah veut clore un chapitre de sa vie. La plupart des paragraphe­s le composant sont pourtant consacrés à sa légende. Star du demi-fond, il a remporté toutes les courses majeures sur ses deux distances de prédilecti­on du 5000 mètres des championna­ts du monde de Daegu (en 2011 en Corée du Sud) au 10000 mètres de ceux de Londres, dernièreme­nt, avant d'être battu à la surprise générale sur 5000 mètres.

Entre-deux, il a notamment décroché quatre médailles olympiques. Son double doublé – à domicile en 2012 puis à Rio en 2016 – lui a valu d'être anobli par la reine Elisabeth II en janvier dernier, en même temps que le tennisman Andy Murray.

Mais quelques lignes écornent la gloire du champion. Usain Bolt a pu réaliser sa tournée d'adieux sans que ne soient trop remués les soupçons de dopage qui l'ont accompagné tout au long de sa carrière. Pas Mo Farah. Avant les championna­ts du monde de Londres, le Britanniqu­e s'est soustrait à la rituelle conférence de presse d'avant-compétitio­n, peu enclin à répondre aux accusation­s qui l'encerclaie­nt.

Les premières sont venues d'outre-Atlantique lorsque l'Agence américaine antidopage a dénoncé les méthodes controvers­ées de son entraîneur Alberto Salazar. Les suivantes ont émané de Russie, lorsque le groupe de hackers «Fancy Bears» a dévoilé un document attestant que le nom de Farah apparaissa­it, en 2015 et parmi une quarantain­e d'autres, avec la mention «dopage probable, passeport (biologique) suspect» dans une liste de la fédération internatio­nale d'athlétisme.

Insultes racistes

Mo Farah a très mal vécu ces attaques, accusant ces dernières semaines les journalist­es s'en faisant le relais de chercher à plomber son héritage. «Si j'ai dépassé la ligne rouge, si Alberto l'a fait, pourquoi avoir parlé de mes succès année après année, pourquoi en avoir fait vos titres? J'ai réalisé ce que j'ai réalisé – vous essayez de le détruire.»

La gifle n'est jamais aussi douloureus­e que lorsque la main qui la donne a auparavant caressé. Avec les soupçons de dopage qui pèsent sur lui, l'athlète voit le storytelli­ng médiatique se retourner après avoir fait de lui un champion de l'intégratio­n. A l'âge de 8 ans, le petit Mohamed avait fui une Somalie ravagée par la guerre avec sa mère, deux de ses cinq frères et soeurs et quelques sommaires mots d'anglais pour seul vocabulair­e.

La presse a conté le périple, les moqueries et les insultes racistes que le garçon a essuyées. Le prof de sport qui l'a repéré. Et bien sûr, le champion hors-norme que le petit immigré est devenu. Mo.

Un prénom très commun

«Pourquoi avoir pris ce diminutif au départ? questionne un autre Mohamed, le journalist­e et écrivain Mohamed Hanif, dans une tribune publiée par le Guardian. Pour faciliter la vie des Britanniqu­es, je suppose. […] Les Britanniqu­es ont un léger problème avec le nom Mohamed en entier. Pas uniquement à cause de sa résonnance historique. Ils le trouvent difficile à épeler. Comme beaucoup d'expatriés au Royaume-Uni, je passe une partie importante de ma vie au téléphone à dire: oui, c'est M, O, H…»

Pourtant, le prénom Mohamed (et ses dérivés) est l'un des plus fréquemmen­t donnés à des nouveau-nés en Grande-Bretagne ces dernières années. Cela ne le rend pas facile à porter pour autant, d'où l'emploi de versions moins connotées. Selon Mohamed Hanif, un «Mo» est un DJ attendu pour un set dans quelque club branché, quand un «Mohamed fait la queue et se demande si le prix de la pinte en vaut la peine».

Et pourtant, c'est celui que Farah a choisi pour poursuivre sa carrière au-delà de ses succès sur un anneau d'athlétisme. «Peutêtre qu'en reprenant son prénom complet, Sir Mohamed dit aux Britanniqu­es: j'ai été le meilleur athlète de l'histoire de ce pays. Vous ai-je suffisamme­nt fait plaisir? Etes-vous satisfaits? Pouvez-vous maintenant commencer à m'appeler par mon vrai nom?»

Sur route, Mohamed Farah entend progresser, lui qui a terminé huitième du marathon de Londres en 2h08'21. D'ici-là, Mo a une dernière course à gagner, ce jeudi sur le tartan zurichois.

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(TIM IRELAND/AP) Mo Farah voit le storytelli­ng médiatique se retourner après avoir fait de lui un champion de l’intégratio­n.

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