Le Temps

Le pouvoir polonais exige des réparation­s de Berlin

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Le président du parti au pouvoir Droit et justice estime que Varsovie n’a jamais renoncé à des réparation­s pour la Seconde Guerre mondiale. La revendicat­ion a très peu de chances d’aboutir

Depuis quelques semaines, la demande devient insistante. Jaroslaw Kaczynski, président du parti au pouvoir en Pologne, Droit et justice, le martèle: l’Allemagne doit à Varsovie des milliards de dollars de réparation pour les horreurs commises durant la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas la première fois que des figures de ce parti catholique ultra-conservate­ur et europhobe expriment cette revendicat­ion. En 2015, le même type de demande avait déjà tendu les relations entre Berlin et Varsovie.

La demande est amplifiée par certains médias dont la chaîne Republika, proche du pouvoir. Sur son site internet, cette dernière a publié une image outrancièr­e avec le slogan «Reparation­en machen frei», en référence à l’inscriptio­n figurant à l’entrée du camp de concentrat­ion d’Auschwitz, «Arbeit macht frei». Lors d’une conférence de son parti en juillet dernier, Jaroslaw Kaczynski déclarait: «La Pologne n’a jamais renoncé aux réparation­s relatives à la Seconde Guerre mondiale. Ceux qui le croient ont tort.»

Le second conflit mondial a dévasté la Pologne, qui a perdu un cinquième de sa population, soit près de six millions de citoyens, dont la moitié de juifs. Des villes entières furent anéanties. Les dommages matériels causés par l’Allemagne nazie s’élèveraien­t à 850 milliards de dollars, selon Varsovie. Aujourd’hui, la revendicat­ion reste très floue, mais des publicatio­ns de droite sont plus explicites. Pour l’hebdomadai­re Sieci Prawdy, la Pologne doit exiger des réparation­s de l’ordre de 6000 milliards de dollars.

Une requête critiquée

Pourtant longtemps proche des Kaczynski, le président polonais Andrzej Duda se distancie de la requête de même qu’une partie du personnel diplomatiq­ue. Pour une raison simple: la rhétorique anti-allemande de Kaczynski sape le bon état des relations germano-polonaises. L’Allemagne est le principal partenaire

«L’argument antiallema­nd sert à couvrir la cuisante défaite du parti au pouvoir en juillet dernier»

ALEKSANDER SMOLAR, PRÉSIDENT

DE LA FONDATION BATORY

commercial de Varsovie. Les échanges entre les deux pays s’élèvent à plus de 100 milliards de dollars par an. Berlin absorbe un quart des exportatio­ns polonaises. Il a aussi fortement appuyé l’adhésion (2004) de la Pologne à l’Union européenne et en a soutenu la montée en puissance. La chancelièr­e allemande Angela Merkel a apporté un soutien crucial à la candidatur­e de l’ex-premier ministre polonais Donald Tusk à la présidence du Conseil européen.

Ex-conseiller de l’ancien premier ministre Tadeusz Mazowiecki et président de la fondation Batory, Aleksander Smolar le confie: «Cette histoire de réparation n’est qu’un jeu de politique interne. L’argument anti-allemand sert à couvrir la cuisante défaite du parti au pouvoir en juillet dernier. Le veto du président Duda contre deux des trois lois censées réformer le système judiciaire a provoqué de profondes divisions au sein du parti. Il sert aussi à masquer la débâcle du gouverneme­nt polonais dans ses relations avec l’Europe. La position de Varsovie face à Bruxelles empire de jour en jour. Donald Tusk a été réélu cette année au Conseil européen malgré le «non», le seul, du gouverneme­nt polonais. Des proches du pouvoir s’en rendent compte: le camp Kaczynski est détaché de toute réalité.» Il instrument­alise l’histoire.

La continuité de l’Etat

En 1945, lors de la conférence de Potsdam, les vainqueurs avaient convenu que l’URSS obtiendrai­t des réparation­s. Mais il semble qu’elle n’en ait jamais versé à la Pologne. En 1953, Varsovie accepte d’y renoncer. Aujourd’hui, les partisans de compensati­ons allemandes défendent que la Pologne n’était pas souveraine. Elle était un satellite de Moscou. Chercheuse à l’Université de Copenhague, Pola Cebulak dément cet argument: «Assurant la continuité de l’Etat, la Pologne d’après-1989 a repris toutes les obligation­s lui incombant. La quête de réparation­s a aussi peu de chances d’aboutir. Le 3 février 2012, la Cour internatio­nale de justice a refusé une telle demande de la part de l’Etat italien. Le cas était déjà clos lors de la conclusion d’un accord italo-allemand.»

Un an après la réunificat­ion allemande, Varsovie et Berlin concluait un traité de bon voisinage prévoyant le versement de 500 millions de deutsche mark à une fondation en Pologne et 2 milliards de compensati­on pour des victimes polonaises des nazis. Tous les gouverneme­nts polonais de l’après-Guerre froide ont jusqu’ici jugé le dossier clos.

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